L’âme kamitik de So Kalmery

L’apôtre de la brakka, So Kalmery, revient avec l'album Brakka System, fruit d’une exploration de plus de trente ans de la planète musicale. Plus qu’un album, c’est un voyage à travers une vie et une âme.

Brakka system, un nouvel album

L’apôtre de la brakka, So Kalmery, revient avec l'album Brakka System, fruit d’une exploration de plus de trente ans de la planète musicale. Plus qu’un album, c’est un voyage à travers une vie et une âme.

RFI Musique : Sept ans séparent Bandera, votre précédent album de celui-ci ? Pourquoi si longtemps ?
So Kalmery
: J’ai besoin de mûrir ma musique. Ici, j’ai décidé de faire de la musique orchestrée car on me collait une fausse étiquette de musicien acoustique alors que dans ma vie, j’ai dirigé des orchestres de dix-sept à vingt personnes. Dans le spectacle que je propose aujourd’hui, je suis entouré de quatre musiciens et de deux danseurs, Des images d’Afrique seront projetées pendant le spectacle.

Vous vous définissez comme le défenseur de la brakka, une musique méconnue…
La brakka est une musique urbaine à base de guitare, de flûte et de percussions. Elle a connu un grand succès avant les indépendances et a disparu quand les missionnaires ont apporté la musique cubaine en Afrique de l’Est. On y retrouve des influences du Mali, du Nigeria (Les Haoussas venaient vendre des habits en Afrique de l’Est), d’Afrique australe et centrale : Spokes Mashiyane, le roi de la kwela l’a adoptée ainsi que le guitariste congolais Jean Bosco Mwenda. Dans la brakka, il y a plus d’harmonies que dans la rumba et c’est la guitare très rythmique qui structure le morceau. La danse brakka est très physique comme les danses zulu. Les chansons parlent de morale, d’éducation, de philosophie de la vie.

Dans vos morceaux, vous parlez d’amour mais aussi de déracinement ?
Comme on me reprochait d’être trop révolutionnaire, j’ai décide de composer également des morceaux d’amour (Brand new day, All what you need is love). "Hey" veut dire "viens", c’est un appel caché à la lutte anticoloniale qui accompagne les pas de danse dans la brakka. Harambe, un terme lancé par Kenyatta, signifie "s’unir" ou "disparaître". Regea, "reviens" en swahili, parle du déracinement. C’est l’histoire de ma vie. J’ai quitté mon pays à la mort de mon père en 1961/1962. Il s’appelait David Kalmery, c’était un proche de Lumumba, Quand on a arrêté Lumumba, on a recherché tous ses proches et on les a éliminés. On n’a jamais retrouvé son cadavre, je le cherche à travers le monde. Après la mort de Lumumba, on s’est retrouvé dans un camp de réfugiés en Zambie et depuis j’ai erré. Les années ont passées mais je me revois sans cesse enfant en train de courir. Pendant longtemps, j’ai eu ce désir de me venger. Avec les années, j’ai appris que l’amour seul pouvait résoudre les choses.

L’artiste pourtant est un guerrier …
Oui, dans le sens positif du terme. Dans Warria, je rend hommage à tous ces combattants de la musique Fela, Armstrong, Peter Tosh , Miles Davis, Luambo (Franco), Nico, Tino Barosa, Jimi Hendrix  et bien sûr, Spokes Mashiyane, ma référence.

Dans cet album, il y a un titre magique, habité, Kamitik Soul où vous jouez du oud, un titre empreint d’une forte dimension mélancolique…
Kamitik Soul, c’est le nom africain des Africains. Je crois que la mutation mentale de l’Afrique doit commencer d’abord par le choix des mots. Je joue du oud parce que j’ai une passion pour les instruments à cordes (le oud et l’inanga, la harpe des grands lacs). Ces instruments accompagnent les grands poèmes. Et puis, je veux rappeler que l’oud est un instrument africain. J’en ai fait faire un sur mesure en Australie.

A propos de l’Australie, vous jouez ici du didgeridoo. Vous qui êtes flûtiste à la base, comment ressentez vous leur technique de souffle ?
Les Aborigènes utilisent un souffle continu, symbole d’harmonie : si on arrête de souffler, on brise l’harmonie. L’Aborigène envoie un message et l’univers doit écouter ce message. Je suis comme eux, je pense que la terre est une entité qui pense. La brakka, comme la musique gnaoui ou le soufisme, a cette dimension cosmique.

Le choix du swahili est important ?
C’est la langue la plus parlée en Afrique. Elle est étudiée dans les universités. C’est une langue universelle qui a intégré des mots de partout, arabes, indiens, etc.

Pour cet album, vous avez collaboré avec des musiciens très différents comme Patrick Bebey, Daby Touré, Hilaire Penda, etc.
Il m’a fallu des années à murir l’album mais seulement quelques heures pour l’enregistrer, dans les conditions du live. C’était du ressenti et j’avais besoin de musiciens qui ne viennent pas simplement en studio mais me donnent tout.

 Ecoutez un extrait de

So Kalmery Brakka System (World Village/Harmonia Mundi) 2009
En concert à la Bellevilloise (Paris) le 3 février 2009