Nougaro par l’écrivain Christian Laborde
Auteur de trois livres sur Claude Nougaro, l’écrivain Christian Laborde en est sans doute le plus fervent spécialiste. A l’occasion de cette date anniversaire, celui que Nougaro appelait son "frère de race mentale" revient ici avec passion sur la carrière d’un artiste indémodable, chanteur au swing exceptionnel et éternel exilé marqué à vif par le jazz.
L’ami de trente ans
Auteur de trois livres sur Claude Nougaro, l’écrivain Christian Laborde en est sans doute le plus fervent spécialiste. A l’occasion de cette date anniversaire, celui que Nougaro appelait son "frère de race mentale" revient ici avec passion sur la carrière d’un artiste indémodable, chanteur au swing exceptionnel et éternel exilé marqué à vif par le jazz.
RFI Musique : Dans quelles circonstances avez-vous découvert Claude Nougaro ?
Christian Laborde : Dans un internat parisien où je m’ennuyais. Ce devait être en 1973 ou 1974. Je me souviens d’un camarade qui avait un poste radio, et m’a fait écouter un soir Toulouse. J’ai été bouleversé par cette chanson. Plus tard, étudiant à Toulouse, je l’ai vu sur la scène du Capitole, entrer sur Locomotive d’Or, et j’ai réalisé ce jour-là à quel point Nougaro était une bête de scène. Dès lors, je n’ai pratiquement raté aucun de ses concerts entre Marseille et Bordeaux. La première rencontre a eu lieu plus tard, lors d’une interview pour une revue littéraire. Dès lors, on ne s’est plus quittés. Il me logeait régulièrement chez lui à Paris, avenue Junot. J’ai commencé par écrire les textes de présentation de ses concerts à l’Olympia, puis j’ai dépassé le cadre des programmes pour écrire des livres sur lui.
En quoi vous a-t-il impressionné ?
Par sa voix, et ce phrasé étonnant qui fait vivre chaque syllabe. Les mots sont prononcés de manière succulente. Dans l’univers des chanteurs à timbre, il était le seul chanteur à voix, sans doute grâce à l’héritage paternel (son père était premier baryton de l’Opéra de Paris). J’ai ensuite été subjugué par la richesse de son écriture.
Dès le début de sa carrière, à la fin des années 1950, le jeune Nougaro sort des sentiers battus de la chanson française, en puisant dans le jazz, à la manière de Boris Vian ou Gainsbourg.
Il y a d’abord le Lapin Agile, le cabaret où il va dire des textes et se faire connaître. Il y a aussi cet amour pour le jazz, qu’il trimballe depuis l’enfance. Ce lien avec le jazz est très puissant : il trouve chez lui un écho à sa profonde solitude, à son sentiment d’exil. Chez Vian, l’utilisation du jazz dans la chanson est davantage vue sous l’angle du comique. Nougaro est le premier en France à chanter sa souffrance d’homme dans cette musique. C’était un homme angoissé et pessimiste, sans aucune illusion sur la race humaine, et le jazz était pour lui comme une forme de salut.
À l’écoute du Jazz et la Java ou d’A bout de Souffle, on croirait que le jazz a toujours été de langue française. D’où lui est venue cette idée de reprendre dans sa langue des standards de ce genre musical ?
D’une rencontre avec le pianiste Jimmy Walter, un New-Yorkais qui vivait à Paris et fréquentait le Lapin Agile. Ce jour-là, Jimmy jouait un thème de Gerry Mulligan. Claude s’est mis à raconter l’histoire d’un piano passé de Debussy à un bar enfumé. Cela a donné Le Piano de Mauvaise Vie en 1958. L’expérience s’est renouvelée avec Michel Legrand, qui le poussait à aller vers le jazz.
Après une période d’exploration du Brésil, de l’Afrique, puis du funk-rock (Nougayork), les dernières années ont été marquées par un véritable retour aux sources…
Un double retour aux sources en réalité, au jazz mais aussi à la parole mise à nu. Dans sa dernière tournée, Les Fables de ma Fontaine, où moments chantés et parlés se succédaient, il a retrouvé l’ambiance du Lapin Agile. Après être passé par le jazz band, le groupe de rock, le trio, le piano (Une voix dix doigts), il ne restait plus que la voix. La boucle était bouclée.
Claude Nougaro a-t-il laissé des héritiers ?
Je me suis longtemps demandé si Claude allait avoir un héritier, lui qui n’aimait pas beaucoup être considéré comme un monument. Cependant, une jeune chanteuse avait immédiatement suscité son admiration : Camille. Il se reconnaissait en elle, et m’avait assuré dès ses débuts qu’elle ferait une très grande carrière. Voilà une fille qui entretient, comme lui, un lien physique avec le langage.
Que conseillez-vous aux plus jeunes et aux néophytes qui désirent se plonger dans l’œuvre de Nougaro ?
L’indispensable enregistrement à l’Olympia en 1969, bien sûr. L’album Plume d’ange (1976) et sans doute Femmes et Famines (1975), véritable célébration de la femme qui contient de magnifiques chansons d’amour. Quand on sera lassé par le cynisme et la dérision systématiques, sans doute retrouvera-t-on un artiste qui avait l’art de célébrer. Il faut aimer la vie, aimer lui rendre hommage pour goûter l’art de Nougaro.
Les ouvrages de Christian Laborde consacrés à Claude Nougaro :
L’Homme aux semelles de swing, menteries biographiques, Privat, 1984. Nouvelle édition Fayard, 2004.
La Voix Royale, Editions Hidalgo, 1989. Nouvelle édition Fayard, 2004.
Mon seul chanteur de blues, De La Martinière, 2005.