Retour aux sources pour Ba Cissoko
Ba Cissoko livre Séno, un troisième disque moins électrique que le précédent mais toujours aussi créatif. Le joueur de kora guinéen aime décidément proposer ses propres lectures de la tradition, dans laquelle il s’est véritablement immergé à quatorze ans.
Un album plus acoustique
Ba Cissoko livre Séno, un troisième disque moins électrique que le précédent mais toujours aussi créatif. Le joueur de kora guinéen aime décidément proposer ses propres lectures de la tradition, dans laquelle il s’est véritablement immergé à quatorze ans.
Comme au village. Après le rugissant Electric Griot Land, Ba Cissoko et ses musiciens ont décidé de revenir à leurs fondamentaux. Dans Séno, leur troisième album, il y a toujours quelques effets de pédale wah-wah et de distorsion, mais Ba Cissoko n’en fait plus le cœur de son discours musical. L’essentiel est ailleurs : quelque part entre le respect de la tradition et l’inspiration, toujours renouvelée.
Séno pourrait s’écouter dans la cour de la maison de M’Bady Kouyaté, l’oncle et maître de kora de Ba et de ses frères, à Taouyah, un quartier de Conakry, un soir de saison sèche. Avec ou sans électricité. Pour Ba, chanteur, koriste et leader du groupe, ce retour aux sources acoustiques était prévu "depuis", comme on dit en Afrique de l’Ouest. Pas besoin de préciser depuis quand : un bon bout de temps. Ce troisième album, composé à Conakry et sur la route, kora au dos, mais sans directeur artistique, lui ressemble plus. "Là, j’avais envie de faire un disque qui correspond à ce que nous jouons sur scène", démarre Ba. "J’ai ajouté une guitare sèche qui se marie super bien avec la kora, le balafon sur un morceau et invité un cousin à moi qui fait du rap sur un autre. Séno est plus varié, comme nous pouvons l’être aujourd’hui". Il poursuit : "Le directeur artistique peut te donner de bonnes idées, mais t’amener aussi là où tu ne veux pas, il peut déformer ton style".
Passeur de groove
Ba s’est écouté, s’est appuyé sur son jeu de kora virtuose. Sur Séno, il ne rejoue pas la corde facile du tout électrique, peu soucieux de prolonger la réputation "hendrixienne" du groupe. "Ce qui compte, c’est d’innover, de créer, tout en s’appuyant sur la tradition", insiste-t-il. En s’inspirant des rythmes des quatre régions naturelles de la Guinée, Ba pousse toujours le groove un peu plus loin. Le yankadi du morceau Conakry est dopé à l’énergie des nuits soussou. Le doumdoumba – la danse des hommes forts de Haute-Guinée - d’Africa Dance se transforme en disco panafricaine. Le toupou séssé, planant rythme du Fouta Djalon, la région de Guinée où les fleuves Niger et Sénégal prennent leur source, berce le morceau Yadou… Ba chante ainsi ce qui l’a forgé et ceux qui lui ont tout appris, mais avec son talent de passeur de culture.
D’abord, sa grand-mère, celle qui l’a élevé à Koundara, dans le Fouta Djalon, là où il est né. Le morceau-titre de l’album, Séno (qui signifie "agriculture"), lui est dédié. "Elle avait un champ de riz, où elle me traînait souvent pour travailler la terre, mais elle était aussi griote…C’est elle qui m’a appris à chanter. A chaque fête de Ramadan ou de Tabaski, elle sortait très tôt, vers cinq heures du matin, et elle m’emmenait avec elle, dans la nuit." Puis, M’Bady Kouyaté, son oncle "kora fola", et sa tante, qui l’embarquent un beau jour sur les routes d’Afrique de l’Ouest, pour lui apprendre la tradition de la kora.
"On marchait sans cesse, de village en village. Les gens ne savaient pas que le griot arrivait, mais lorsqu’ils nous voyaient, ils faisaient tout pour nous recevoir. Dans la tradition, on loge le griot, on lui prépare à manger. Le soir venu, il fait le compte-rendu de son voyage, explique qu’il est venu saluer et jouer de la musique. M’Bady était à la kora, sa femme chantait. Moi, à ce moment-là, je ne maîtrisais pas encore l’instrument : j’avais un petit bâton et je tapais sur une calebasse, pour apprendre le temps de la kora, la rythmique. Pendant le voyage, il m’a aussi appris à fabriquer une kora."
La kora apprivoisée
Leurs pas les guident en Casamance, dans le sud du Sénégal. Ba s’arrêtent deux mois dans une école où d’autres jeunes de son âge apprivoisent les vingt et une cordes de la kora. "Là encore, c’était la musique tout le temps, les baptêmes, les mariages, les cérémonies… J’ai appris Kélé Faba, la première leçon de la kora, qui imite les pas du cheval d’un chef. Ça démarre tout doucement puis le rythme file, car le cheval du chef est rapide. Ce morceau n’est pas sur le disque, mais j’ai gardé dans mon habitude de toujours le jouer en voyage." Ils rentrent à Conakry. M’Bady Kouyaté a réussi : la kora restera dans la famille.
Cette histoire est connue, mais Ba la chante sur plusieurs morceaux de Séno : malgré la route parcourue depuis, il ne l’a pas oubliée. Retenez ceci : Ba Cissoko a la mémoire longue. Depuis trois siècles, l’histoire de la kora est en marche et il en est certainement l’un des guides les plus brillants.
Ecoutez un extrait de
Ba Cissoko Séno (Nuits Métis / Frochot Music) 2009