Juliette Gréco, naturellement

Pour annoncer le soixantième anniversaire de ses débuts dans la chanson, Juliette Gréco sort Je me souviens de tout, disque très dépouillé écrit par Abd Al Malik, Olivia Ruiz, Maxime Le Forestier, Brigitte Fontaine, Miossec, etc…

Nouvel album

Pour annoncer le soixantième anniversaire de ses débuts dans la chanson, Juliette Gréco sort Je me souviens de tout, disque très dépouillé écrit par Abd Al Malik, Olivia Ruiz, Maxime Le Forestier, Brigitte Fontaine, Miossec, etc…

Comment ne pas trouver, avant même d’avoir entendu une note, que le geste a un panache magnifique ? A quatre-vingt-deux ans, Juliette Gréco sort un nouvel album, Je me souviens de tout. Ce n’est pas seulement un album de plus dans une exceptionnelle carrière qui a commencé très exactement le 22 juin 1949 au soir, pour l’inauguration du nouveau Bœuf sur le Toit avec trois chansons composées spécialement par Joseph Kosma sur des textes choisis par Jean-Paul Sartre et interprétées d’une voix "sans technique", selon le journal intime de Raymond Queneau qui assistait à la soirée.

Je me souviens de tout est un album comme beaucoup d’artistes de trente ans aimeraient en signer, avec pour paroliers Abd Al Malik, Olivia Ruiz, Maxime Le Forestier, Brigitte Fontaine, Orly Chap, Christophe Miossec, Marie Nimier (avec ses complices Thierry Illouz et Marc Estève), Adrienne Pauly, Valérie Véga – un casting inédit de jeunes gens et d’auteurs d’expérience, de plumes fantasques et de néoclassiques…

Quand on en parle avec elle, Juliette Gréco dit franchement : "J’ai toujours chanté des auteurs jeunes." Et c’est vrai : Jacques Brel, Serge Gainsbourg, Guy Béart, Georges Brassens, Léo Ferré étaient loin d’avoir atteint les sommets quand elle les a chantés, donnant même à Gainsbarre un élan décisif, quelques années avant qu’il n’écrive pour elle La Javanaise. Déjà, en 2003, pour Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez, son premier album chez Polydor/Universal, elle avait convoqué la jeune génération.

Gérard Jouannest, fidèle mélodiste

Mais, cette fois-ci, pas de tentation électro ou d’échappée post-rock : l’essentiel des mélodies ont été composées par Gérard Jouannest, qui fut pianiste et compositeur de Jacques Brel avant de devenir son mari, et tout l’accompagnement a été enregistré en direct par Jouannest et l’accordéoniste Jean-Louis Matinier. Leur travail a été à la fois classique et ultramoderne : on enregistre à l’ancienne, tout le monde ensemble, mais grâce à la technique miniaturisée des studios d’aujourd’hui transportée dans la grande maison de la chanteuse, dans un village de l’Oise, autour du Steinway de son Jouannest.

Et la chanteuse s’est donc aventurée en deux ou trois prises dans chacune des chansons, enregistrant tout l’album en deux sessions de deux jours. Après presque soixante ans dans les studios d’enregistrement, une révolution ? La grande dame a un petit rire : "Quand j’enregistre, je suis toujours chez moi." Pour la méthode de l’enregistrement direct avec ses compagnons de scène, elle insiste : c’est "un travail normal. Nous ne sommes pas des pièces rapportées, nous sommes un corps, nous sommes une famille." Cela lui semble naturel, elle sourit que l’on trouve singulier qu’une chanteuse enregistre si vite et si juste des chansons inédites : "La concentration est naturelle et extrêmement rapide. Quelques secondes avant de monter sur scène, je suis l’autre, je suis au service de ce que je fais. Il est impossible de me distraire."

Il en résulte un album d’une ferveur et d’une grâce rares, dans lequel elle chante à la première personne toutes les couleurs d’une destinée hors-normes. Miossec, Olivia Ruiz, Orly Chap, Marie Nimier lui ont donné des mots qu’elle aurait pu signer, des mots qui évoquent le temps qui passe, le poids des souvenirs, la délectation de l’âge. Ses auteurs sont même en deçà de ses bonheurs du jour. Elle lance : "Vieillir ? Il y a une autre lumière, et puis tellement plus d’amour."

L'amour, source inépuisable d'inspiration

L’amour ? C’est la grande affaire de sa vie, dans les chansons comme à la ville, où elle a été également une femme libre et même parfois un peu scandaleuse. Et elle chante : "Je me souviens de tout/Tout me revient dans l’cou", sur les mots d’Orly Chap. Mais aussi, sous la plume de Marie Nimier et Thierry Illouz : "Je n’ai jamais été/Douée pour le passé (…) Je suis pour que tout change/Et pour tout renverser".

Pendant des mois, elle a reçu des textes, des centaines de textes de célébrités et de débutants, qu’elle a passés à son scanner personnel : "Je sais immédiatement si je peux chanter un texte, dès que je le lis. Gérard n’a pas encore écrit la mélodie mais j’entends déjà si je sais le chanter ou pas." Alors pas question de diplomatie ou de chauvinisme de label. Et elle ne dira pas de qui étaient les textes qui sont restés dans leur chemise cartonnée, mais il semble bien que quelques grands noms aient mordu la poussière…

Comme toujours, elle a privilégié des rencontres – rencontres d’auteurs, rencontres de personnes. Elle ne cache pas son affection admirative pour Abd Al Malik, sur les deux derniers albums duquel Gérard Jouannest a composé et joué plusieurs mélodies. Elle parle de lui comme d’un écrivain, il parle d’elle comme d’une rappeuse. Elle ne cache pas non plus l’espèce de sororité qui l’unit à Olivia Ruiz, Adrienne Pauly ou Orly Chap, ou son élan vers Marie Nimier, dont elle connut le père, l’écrivain Roger Nimier, et qui sait si bien mettre en résonnance des sentiments féminins qui transcendent les barrières de génération…

Dans quelques semaines, début juin, Gréco s’installera au théâtre des Champs-Elysées, pour une série de concerts exceptionnels. Son nouvel album sonne comme une promesse : oui, elle se souvient de tout.

 Ecoutez un extrait de

Juliette Gréco Je me souviens de tout (Polydor/Universal) 2009
Les 4, 5, 8 et 10 juin au théâtre des Champs-Elysées