En Mauritanie, le rap sinon rien
La deuxième édition du festival de rap Assalamalekoum à Nouakchott, qui s'est déroulée du 15 au 17 avril dernier, a donné la part belle aux artistes locaux. Si la capitale du pays a longtemps été le siège du mouvement hip hop mauritanien, la jeune garde vient désormais de la province.
Deuxième édition de Assalamalekoum
La deuxième édition du festival de rap Assalamalekoum à Nouakchott, qui s'est déroulée du 15 au 17 avril dernier, a donné la part belle aux artistes locaux. Si la capitale du pays a longtemps été le siège du mouvement hip hop mauritanien, la jeune garde vient désormais de la province.
Depuis deux ans, c’est LE rendez-vous d’une bonne partie de la jeunesse mauritanienne. Mi-avril, alors que le mercure des nuits mauritaniennes remonte, le festival Assalamalekoum Hip Hop est l’occasion rêvée pour se défouler au son de lourds beats qui secouent l’atmosphère habituellement calme de Nouakchott. Les garçons sortent leur plus belle parure : pantalon large fraîchement repassé et T-shirt avec graffitis en guise de décalcomanie. Les filles, elles, osent le décolleté.
Pendant trois jours, le Centre Culturel Français se transforme en temple de la rime. L’ambiance est torride et l’événement à ne pas rater. "Ce festival comble un vide : rien n’est fait pour le hip hop en Mauritanie alors que c’est une musique très populaire", s’insurge Limam Kane, alias Monza, fer de lance du rap made in Mauritania et organisateur du festival qui a regroupé pour cette édition, environ 10.000 spectateurs.
Avec à peine une demi-douzaine de studios d'enregistrement et moitié moins de salles de spectacle, le rap mauritanien doit composer avec les moyens du bord. On répète d’abord dans sa chambre. On se produit ensuite en live dans un garage ou sous une tente. "C’est notre premier grand concert !", se réjouit Mamzodi, un des chanteurs de Lam Toro, un groupe venu de Kaédi, une ville du sud du pays. "On est vraiment content de faire une vraie scène, on s’est donné à fond !" poursuit-il.
Une marmite de talents hip hop
De Nouadhibou à Kaédi en passant par Nouakchott, les ramifications du mouvement rap mauritanien se diversifient. Pour le plus grand bonheur de Monza qui souhaite créer une scène musicale professionnelle dans un pays coincé entre le Maroc et le Sénégal, deux nations connues pour leur rayonnement musical. En Mauritanie, la marmite de talents bouillonne mais les moyens financiers et matériels font considérablement défaut.
Pour ces jeunes artistes en mal d’expression, le festival Assalamalekoum est un tremplin, mais également un centre de formation. "Le festival est une école. Les professionnels qui viennent de l’extérieur nous montrent l’exemple", explique RJ, un rappeur de Nouakchott. "Pour nous, c’est une source d’inspiration", ajoute-t-il.
En 2008, le mythique groupe sénégalais Daara J Family avait enflammé le festival. Cette année, Tunisiano, le rappeur français auteur d’un album, le Regard des gens, sorti en 2008, a tenu le haut de l’affiche. La foule de jeunes – qui n’a pourtant aucun moyen d’acquérir le CD de l’artiste – connaissait les refrains par cœur, au grand étonnement de la star. En Mauritanie, le rap fait parfois office de manuel de grammaire. "Moi j’ai appris le français quand j’étais en seconde, grâce à MC Solar", témoigne Bassili, étudiant en sociologie. "Quand je ne connaissais pas un mot, je regardais dans le dictionnaire pour essayer de comprendre ses textes. A la fin de mon année, on m’a conseillé d’opter pour la filière littéraire", s’amuse-t-il.
Porte-parole des "sans-voix" comme ils aiment se décrire, les rappeurs mauritaniens clament haut et fort leur aspiration au changement. "Le but du rap ? C’est la révolution !", résume un des chanteurs du groupe mauritanien Ewlaad Leblaad, ("Les fils du bled", ndlr). Avec des textes vindicatifs, le groupe dénonce tour à tour l’insalubrité de Nouakchott, la pauvreté et bien sûr, la situation politique de leur pays. Cette année, difficile de ne pas croquer sous la plume la crise qui paralyse le pouvoir. Les Ewlaad Leblaad ont mis les pieds dans le plat avec une chanson intitulée Coup d’Etat, référence explicite au putsch militaire du 6 août dernier.
Kane Limam, alias Monza, rappeur et organisateur du festival Assalamalekoum Hip Hop
RFI Musique : Cette année de nombreux groupes mauritaniens sont à l’affiche. Pourquoi avoir recentré la programmation sur la Mauritanie ?
Monza : Ce que je veux montrer avec cette affiche, c’est qu’en Mauritanie aujourd’hui le rap est multiculturel et qu’il touche toutes les communautés. C’est justement ce que l’on n'avait pas vu dans la première édition. Le rap mauritanien est décentralisé. Au départ, il était basé à Nouakchott mais maintenant toutes les villes du pays ont vu émerger de jeunes talents qui réussissent à mélanger tradition et modernité. Cela donne force au mouvement du rap mauritanien.
Selon vous, quel groupe incarne le mieux la diversité culturelle du rap mauritanien ?
Tous les groupes apportent quelque chose de différent. Mais il est vrai que les Ewlaad Leblaad ont été les premiers à avoir su créer un métissage au niveau du public. Les rappeurs de ce groupe chantent en hassanya, le dialecte arabe, ce qui a permis d’amener les arabisants au rap mauritanien. Mais leur textes sont également écrits dans d’autres langues nationales, en wolof, en soninké et en halpulaar. Ces rappeurs ont considérablement élargi l’audience du hip hop.
Qu’attends-tu de ce festival ?
Cette année, Assalamalekoum Hip Hop coïncide avec une période pré-électorale. J’espère que ce festival pourra contribuer à éveiller la conscience citoyenne des jeunes mauritaniens pour qu’ils gardent les yeux ouverts. Je considère que le rap constitue la vraie opposition politique, car le rap parle au peuple. Finalement, ceux sont les chanteurs de rap qui deviennent les vrais représentants du peuple.