Commerce équitable, la musique s’y met !

L’industrie de la musique peut-elle être équitable ? Dans l’Hexagone, une poignée d’acteurs du disque pense que oui et s’inspire des principes du commerce équitable pour rémunérer plus justement les musiciens et mieux respecter leurs œuvres. Comment ça marche et est-ce viable ? Passage en revue d’initiatives pleines de bon sens.

Nouvelles initiatives

L’industrie de la musique peut-elle être équitable ? Dans l’Hexagone, une poignée d’acteurs du disque pense que oui et s’inspire des principes du commerce équitable pour rémunérer plus justement les musiciens et mieux respecter leurs œuvres. Comment ça marche et est-ce viable ? Passage en revue d’initiatives pleines de bon sens.

De la "musique équitable" ? Encore une énième formule marketing pour faire vendre ? L’expression a beau être récupérée sur la Toile par quelques labels et plate-formes de téléchargement pas équitables du tout, elle correspond aussi à une réalité. En effet, depuis une petite dizaine d’années – et plus encore depuis que l’industrie traditionnelle du disque se morfond – plusieurs acteurs appliquent les grands principes du commerce équitable à la musique : réduction des intermédiaires, juste prix pour les consommateurs, juste rémunération des artistes, transparence, respect des droits sociaux…

"Avant de créer mon label, je me suis dit que, si on avait pu imaginer une économie plus solidaire pour le coton et le café, on pourrait aussi le faire pour le disque", explique Jeff Caly. En 2006, ce jeune Lillois fonde ainsi Reshape Music ("Refondre la musique"), une structure qui s’occupe de la distribution et de la promo d’une petite quarantaine d’artistes sur le Net, en les rémunérant de façon "équitable". "Nous leur reversons 50% du prix de vente public quand une maison de disque classique leur donne 3%." D’ici fin 2009, Reshape Music espère pouvoir se lancer dans la production et maîtriser ainsi l’ensemble de la filière : "On y croit mais c’est difficile. On propose une solution innovante en terme d’économie sociale mais celle-ci n’est pas encore rentable financièrement."

A Grenoble, dans le Sud-Est de la France, le collectif d’artistes Dyade Art & Développement fait depuis neuf ans sans la nommer de la musique équitable. Il enregistre des artistes marocains (Troupe Afrah, troupe des Aïssaoua de Meknès) directement sur place, distribue leurs disques dans des boutiques de commerce équitable en France et les aide à tourner * : tout cela en veillant à ce que les retombées économiques profitent à leur communauté. "C’est important que la création musicale transpire sur la vie locale, cela valorise la place des musiciens au Maroc", raconte Nizar Baraket, co-fondateur de Dyade Art & Développement.

Plus d'intermédiaires

Lui-même musicien, Nizar Baraket insiste sur un autre incontournable de la musique équitable : la réduction des intermédiaires. "L’industrie actuelle du disque est dans une logique de taylorisation, avec plein d’intermédiaires hyper-spécialisés qu’il faut à chaque fois rémunérer. C’est valable pour les poids lourds, pas pour les petits." "La filière courte", un principe que des groupes comme les Ogres de Barback ou les Hurlements d'Léo appliquent depuis longtemps. Eux, maîtrisent la quasi-totalité de leur projet et veillent ainsi mieux que personne à leurs droits et à leur liberté de création.

"Les majors ont beaucoup contribué à infantiliser les musiciens, en n’étant pas toujours transparentes sur les gains revenant à chacun, analyse Charlotte Dudignac (co-auteur de La musique assiégée, d’une industrie en crise à la musique équitable). La musique équitable veut aussi changer ça." Afficher la part revenant au musicien, au tourneur et à la salle sur les billets de concerts, garantir à l’artiste son autonomie ou produire le plus écolo possible sont autant de points qui figurent dans la charte Musique éthique conçue, entre autres, par Dyade Art & Développement et le label associatif Fairplaylist **. Gilles Mordant, de Fairplaylist, rêve que d’ici 2010, une garantie Musique éthique voit le jour. Certifiant - comme le label AB pour les produits issus de l’agriculture biologique - des conditions de production respectueuse de l’équité et de la dignité des artistes. Il en est convaincu : "La musique doit être à l’avant-garde de ce que sera le monde de demain".

Trois questions à… Charlotte Dudignac, co-auteur de La musique assiégée, d’une industrie en crise à la musique équitable*.

RFI Musique : Comment est né le concept de "musique équitable" ?
Charlotte Dudignac : L’expression est assez récente. Elle découle directement de la très forte médiatisation dont a joui le commerce équitable ces dernières années. Face à une industrie du disque vieillissante, en crise et pas franchement éthique, un certain nombre d’acteurs de la musique ont alors pensé : "Et si on reformait cette économie en s’inspirant des principes du commerce équitable ?"

En France, qui en sont les acteurs ?
Des artistes, de petits labels indépendants, quelques tourneurs… Uniquement des structures à taille humaine dont la finalité n’est pas la rentabilité financière mais l’épanouissement des musiciens. C’est une économie restreinte et encore fragile. Tous ces acteurs travaillent énormément avec très peu de moyens et souvent chacun dans leur coin. Ils se connaissent mal et vont devoir se rassembler pour être plus forts.

Ce modèle est-il selon vous l’avenir de la musique ?
L’industrie actuelle du disque, avec ses majors omniprésentes qui laissent dans l’ombre une grande partie des musiciens et des labels, va mal. Au lieu de la pleurer, repensons les formules et essayons de poser les conditions d’une économie qui permette aux musiciens de vivre dignement de leur activité. La crise peut en cela être salvatrice !

Ecrit avec François Mauger et publié aux éditions de l’Echappée, 183 p, 14 €.

* La troupe des Aïssaoua de Meknès sera en concert le 21 juin 2009 à Paris, dans le cadre du festival Climats.

** L’Association Fairplaylist organise à Paris le festival Ménilmontant, Capitale de la musique équitable et écologique du 13 au 17 mai 2009.