Murat contre l’ordinaire
Pour son nouveau disque, Le Cours ordinaire des choses, Jean-Louis Murat a pris la direction de Nashville, l’un des fiefs de la musique américaine. Vraie rupture ou simple changement d’air ? Essai de réponse avec un artiste aussi discipliné qu’allergique à la routine.
Un album enregistré outre-Atlantique
Pour son nouveau disque, Le Cours ordinaire des choses, Jean-Louis Murat a pris la direction de Nashville, l’un des fiefs de la musique américaine. Vraie rupture ou simple changement d’air ? Essai de réponse avec un artiste aussi discipliné qu’allergique à la routine.
"Toujours différents, toujours pareils". Cette phrase du DJ anglais John Peel au sujet du groupe The Fall s’appliquerait à merveille à la carrière de Jean-Louis Murat. Depuis 10 ans, l’artiste entretient son style avec une constance inégalée, sans jamais répéter les mêmes recettes : Charles et Léo était un disque de reprises, le précédent Tristan l’adaptation en solitaire d’une légende… Chaque album est l’occasion d’une remise en question, et Le Cours Ordinaire des choses n’échappe pas à la règle.
Enregistré aux Etats-Unis pour la première fois depuis Mustango, ce disque aux forts accents country-rock de Nashville se veut en rupture avec les habitudes d’ici. "C’est un truc de musicien français : faire comme Eddie Mitchell ou Johnny Hallyday, aller là où les choses se passent mieux. A mon arrivée, je me demandais un peu ce que je venais y faire, et j’ai vite compris : à Nashville, tu as plus de 1000 studios d’enregistrement pour une ville grande comme Clermont-Ferrand. Les prix sont abordables, et les musiciens exceptionnels : contrairement aux Français, ils ne jouent jamais quand je chante, sont à l’écoute des chansons et n’utilisent que du vieux matériel, sans pédales d’effets ou autres…"
Pour un Murat habitué depuis quelques disques aux chevauchées solitaires, le processus s’est révélé désarmant de simplicité. "J’arrivais au studio avec mes chansons que je jouais guitare-voix, et l’on enchaînait avec tous les musiciens. Je leur laissais une liberté totale, et en une prise ou deux maximum, c’était plié." Comme au temps de Mustango, l’expérience a semble-t-il libéré le chanteur, habituellement plus directif. "Contrairement à l’époque du Moujik ou de Taormina (ndlr : albums parus respectivement en 2002 et 2006), je me suis sciemment laissé déborder par les musiciens."
Enervement et frustration
La substance, elle, demeure inchangée. Les mots à la signification parfois mystérieuse charrient leur lot de noirceur et d’amertume, à l’image de l’inaugural Comme un incendie : "C’est un sentiment d’énervement et de frustration. Marre de galérer ! La dernière tournée m’a un peu déprimé : jouer seul par manque de moyens dans des salles de 150 personnes, alors que Bénabar enchaîne trois Zéniths sold out dans la même ville… Il pourrait en laisser un peu aux autres non ? C’est un énervement qui ne me mène nulle part". Face aux sceptiques lui reprochant sa langue absconse, le chanteur auvergnat garde la même ligne de défense : "Je me fiche qu’il y ait ou non du sens dans mes mots. Je trouve jouissif d’utiliser des termes incongrus comme 'encoléré' ou 'enculade' pour leur seule sonorité. Je suis musicien avant tout…"
Cette musicalité extrême de la langue associée à la langueur mélancolique du blues a imposé le style Murat dans le paysage musical. Un style quasi immuable, décliné sur la plupart de ses 20 albums à force de travail et de discipline. "Je m’inspire de ce que je lis ou apprends sur Keith Richards ou Neil Young, que j’admire. Ils ne plaisantaient pas ! Je me force à faire 2 heures de guitare par jour. J’ai tellement vu la différence entre des musiciens doués mais dilettantes, et ceux, moyennement doués, mais travailleurs. Certains ont tout arrêté, d’autres sont tombés dans la drogue, sont décédés… Et moi qui étais moins doué, je suis toujours là." A 57 ans, le cours ordinaire des choses n’a décidément pas prise sur lui.
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Jean-Louis Murat
Le Cours ordinaire des choses
Jean-Louis Murat Le cours ordinaire des choses (V2/Universal) 2009