Disparition de Jacno

Avec les Stinky Toys puis en duo avec Elli Medeiros, Jacno a créé un son typique des années 80, entre efficacité pop et roideur new wave. Il vient de s’éteindre des suites d’un cancer à l’âge de 52 ans, sans que sa carrière en solo ne lui ait permis de retrouver les sommets.

Le dandy janséniste

Avec les Stinky Toys puis en duo avec Elli Medeiros, Jacno a créé un son typique des années 80, entre efficacité pop et roideur new wave. Il vient de s’éteindre des suites d’un cancer à l’âge de 52 ans, sans que sa carrière en solo ne lui ait permis de retrouver les sommets.

Clopeur frénétique, Denis Quilliard est encore au lycée quand il trouve son surnom sur ses Gauloises – c’est le nom du graphiste qui, en 1936, a dessiné le casque à ailes du paquet bleu. En 1975, il rencontre dans une manifestation étudiante une belle Uruguayenne aux yeux graves et au verbe dru, Elli Medeiros. Ensemble, ils créent le groupe Stinky Toys, dans l’énergie de la naissance du premier punk.

Leur épopée est immédiatement légendaire : ils sont du premier festival punk londonien au 100 Club en 1976 et Elli fait la Une du Melody Maker, l’hebdomadaire-phare de la musique en Grande-Bretagne. En France le Libération d’Alain Pacadis et une nuée de fanzines chantent la geste de ces punks élégants. Car le retard français en matière de rock a paradoxalement du bon : les Stinky Toys ne brûlent pas de la même furie pyromane que leurs collègues anglais. Ils affichent un look à la fois affirmé et lissé, coloré et narquois. Ils se réclament par dérision de France Gall période Charlemagne et Sucettes, combinent l’héritage des premiers Who et la distance vaguement misanthrope d’un Jacques Dutronc. Mais les Stinky Toys comptent parmi les groupes les plus passionnants et influents de cette génération. Ne trouvant pas le succès commercial, ils se séparent en 1979.

Pertinence pop

Jacno achète des synthétiseurs, monte un home-studio et poursuit sa route avec Elli. Ensemble, ils constituent un duo pop successful et novateur qui aligne les titres acidulés et tendus : Le Téléphone, Oh la la, Anne cherchait l’amour, Main dans la main, Je t’aime tant… Dans une curieuse alliance de froideur et de fraîcheur, le duo fait le lien entre évidences des variétés et goût pour l’exploration musicale. Ce goût, Jacno l’assume pleinement avec son premier succès solo, l’instrumental Rectangle, qui poursuit Kraftwerk et annonce Daft Punk. Sa pertinence pop éclate avec l’écrasant succès d’Amoureux solitaires, réadaptation d’une chanson des Stinky Toys qui impose Lio au premier plan en 1981, ou avec l’efficacité de sa musique des spots télévisés pour Nesquick.

Mais Jacno n’est peut-être pas construit pour la gloire au premier plan. Il compose et devient acteur pour Les Nuits de la pleine lune d’Eric Rohmer, il produit des enregistrements d’Etienne Daho, Jacques Higelin, Daniel Darc, Mathématiques Modernes, Pauline Lafont, Mareva Galanter… Il sort six albums solo, de T’es loin, t’es près en 1988 à Tant de temps en 2006, sur cinq labels différents. Il écrit pour les Valentins ou Paul Personne, on le voit en guest star décalée dans un disque d’hommage à Boby Lapointe, avec Helena Noguerra ou avec Stupeflip…

Entre le dandy dilettante et le styliste mercenaire, Jacno ne parvient pas, pendant des lustres, à retrouver la capacité à décider de l’air du temps qu’il avait à l’aube des années 80. Sa trajectoire est celle d’un promeneur plus attiré par la clarté d’un motif pop que par les éloges des critiques, d’un ancien adolescent que les soucis d’adultes n’encombrent pas. Capable de se mettre à distance de son propre mythe, il n’avait pourtant jamais vraiment su (ou jamais voulu ?) se démarquer d’une manière singulière de jouer la musique, à l’exacte mi-distance entre jansénisme et chatoiement. A l’époque où les chanteurs sont sommés de présenter un miroir à leur public, il sera jusqu’au bout resté un ovni, comme au premier jour.