Nilda Fernandez, le retour de l’infidèle

On ne savait plus où était Nilda Fernandez, en Russie ou dans la Caraïbe, en français ou en espagnol. Le voici revenu parmi nous avec un superbe album éponyme enregistré entre Gênes et Paris, qui évoque mille départs et autant de retours… Rencontre.

Nouvel album

On ne savait plus où était Nilda Fernandez, en Russie ou dans la Caraïbe, en français ou en espagnol. Le voici revenu parmi nous avec un superbe album éponyme enregistré entre Gênes et Paris, qui évoque mille départs et autant de retours… Rencontre.

Une voix reconnaissable entre toutes, des guitares flamencas, un orchestre de cordes, un chœur génois, des cavalcades ska et des échos de musiques de l’Est, du rock et des méditations méditerranéennes… Nilda Fernandez est de retour, dix ans après Mes hommages, son dernier album en français, dans lequel il rendait hommage à ses aînés, de Léo Ferré à Michel Polnareff.

Après plusieurs années en Russie, où il est devenu par surprise une vedette avec des chansons en français, des aventures artistiques de tout ordre à Cuba ou à Ivry, une mise en scène flamenca de Carmen, des scènes partagées avec Adamo, Georges Moustaki, Lara Fabian, Mouss et Hakim ou la soprano Sylvie Brunet, il a enregistré entre Gênes et Paris un album tout simplement titré Nilda Fernandez.

RFI Musique : Pourquoi avoir enregistré à Gênes puis à Paris ?
Nilda Fernandez : Je cherchais un endroit pour poser ce disque, un peu comme une femme qui veut accoucher quelque part. Je voulais enregistrer à un endroit où je trouve bien ce que l’extérieur m’amène – ce que ne m’apportait pas Moscou, qui est une ville tellement dure, tellement urbaine. Alan Simon m’avait parlé d’un studio à Gênes, la Casa Della Musica, que je suis allé voir après un concert en Suisse. Et cet endroit est parfait. Quand je sors du studio, je vois le port. Le passé de Gênes est encore là, et n’a pas été lifté. Comme il n’y a pas de voitures dans ce quartier, cela ressemble à une Venise en pente.

L’escale génoise a-t-elle été longue ?
Cinq mois, dont quatre en studio. Nous avions des horaires de bureau et je n’ai travaillé qu’avec des musiciens italiens, sauf les deux accordéonistes Marcel Azzola et Lionel Suarez, qui sont venus à Paris. J’habite Porte de Clignancourt, tout près du studio CBE, studio mythique de la variété. J’ai enregistré toutes les voix dans les mêmes micros et avec la même console que Joe Dassin, Claude François ou Gérard Manset… Il fallait que je sois en France pour chanter, pour que tout le monde dans le studio comprenne les paroles, pour avoir un bon retour sur l’articulation et le sens des chansons.

Beaucoup d’artistes aujourd’hui sont aussi devenus réalisateurs ou producteurs, sont experts de Pro Tools et des outils informatiques. Est-ce votre cas ?

J’ai Pro Tools mais, quand je travaille sur mon disque, je n’écoute pas le soir, chez moi, ce que j’ai fait dans la journée. J’aurais l’impression d’être un peintre qui corrige son tableau en fonction des photos qu’il en prend.

Un certain nombre de chansons de cet album parle de séparation. Etait-ce une pente autobiographique au moment où vous l’avez écrit ?
Les thématiques d’un album ne sont pas le fruit de la conscience, ni de la préméditation. L’écriture s’étale sur peut-être dix ans avec aussi des chansons plus contemporaines – mais je ne saurais plus dire lesquelles. Figer la musique pour faire un album, ce n’est pas une démarche très naturelle, surtout après sept ans au cours desquelles j’ai chanté partout en tentant toutes les expériences possibles pour un chanteur. A ce moment-là, l’album devient un objet lointain, lointain, lointain... Mais, même si je le fais de manière nonchalante, un album est un acte extrêmement important, extrêmement sérieux. Je n’aime pas entendre des artistes dire qu’ils ont enregistré un disque parce qu’ils devaient encore un album à leur maison de disques. Quand on enregistre, cela reste toute une vie.

Vous avez vous-même qualifié votre trajectoire d’"hasardeuse". Mais tout ce hasard est-il organisé ?
Pour moi, le chaos est l’organisation de l’univers : on essaie de décrire cette organisation depuis des siècles, mais arrivera-t-on un jour à la saisir ? Le chaos est une chose importante. Si on trouve ma vie chaotique, ça ne me dérange pas. Moi, à l’intérieur, je sais bien à quoi tout cela correspond. Pas exemple, je fais entendre dans le disque la fermeture d’une porte du métro de Moscou. Il se trouve que, dans mon enfance, le métro de Barcelone était de fabrication soviétique et, curieusement, le métro russe fait exactement le même bruit.

Quelles sont les deux statues les plus reproduites au monde ?
Il y a celle de Christophe Colomb le doigt tendu vers l’océan, qui me fascinait à Barcelone. Et la statue la plus classique de Lénine a la même posture, le doigt tendu vers le futur. Dans mes voyages, j’ai suivi Colomb sans le vouloir, à Gênes ou à Saint-Domingue, et au fin fond de la Russie on n’arrête pas croiser la statue de Lénine. Est-ce cela, quelque chose d’"organisé" ?

Vos décisions professionnelles obéissent-elles à la même logique de hasards apprivoisés ?
Je vais à Moscou et j’y rencontre un chanteur qui me dit qu’il veut faire quelque chose avec moi – et me voilà parti pour cinq ans de Russie. Et je dois justifier à la maison de disques avec laquelle je suis en contrat que je ne fais pas d’album parce que je suis sur autre chose. Eux, ils ont perdu de l’argent parce qu’une star s’est plantée et ils ont vraiment besoin que je fasse un disque tout de suite. Mais moi je me nourris de ce que je vis en Russie et ils ne comprennent pas qu’après, je ferai un meilleur album. Je suis plutôt infidèle. Je passe par énormément de ruptures. Je m’en fais presque une éthique. Quand on appartient à un clan ou à une famille, on se fait interdire tous les autres clans, toutes les autres familles. Parfois même, une seule personne suffit à faire un clan et cherche à nous enfermer. Ça me rend infidèle.

Retrouvez Nilda Fernandez dans l'émission Musiques du monde en VF, présentée par Alain Pilot sur RFI le 23 janvier prochain.

Nilda Fernandez Nilda Fernandez (Dièse / Harmonia Mundi) 2010
En concert le 26 janvier 2010 au Café de la danse, à Paris.