L’autre part de Luke
Luke, le quatuor rock, réapparaît avec D’Autre Part, un quatrième album moins accrocheur que le précédent mais plus délicatement écrit. Rencontre avec Thomas Boulard, plume enflammée et chanteur nerveux d’une formation qui anime le rock français depuis maintenant dix ans.
Plus intime et plus varié(té)
Luke, le quatuor rock, réapparaît avec D’Autre Part, un quatrième album moins accrocheur que le précédent mais plus délicatement écrit. Rencontre avec Thomas Boulard, plume enflammée et chanteur nerveux d’une formation qui anime le rock français depuis maintenant dix ans.
RFI Musique : A quoi ressemble cet autre part qui vous a inspiré le titre ?
Thomas Boulard : C’est plus un état psychique qu’un lieu géographique. Il évoque cette nécessité qu’on a tous – et que j’ai pour écrire – d’avoir un îlot pour se séparer des autres et être soi-même. En le citant, je montrais qu’il n’y en avait plus finalement. Dans le monde dans lequel on vit, on n’est jamais loin de rien : plus on s’éloigne et plus on se rapproche de quelque chose ! Si l’homme contemporain est dans une telle souffrance, un tel cri intérieur, c’est qu’il n’a pas de coupure, pas de moyens d’extérioriser. Depuis l’avènement de la télévision, du téléphone portable, d’Internet, le monde vient à nous tout le temps et il écrase nos envies d’aller à lui.
Vous êtes devenu sociologue entre cet album et le précédent ?!
J’essaye juste d’écouter mes contemporains pour écrire des chansons ! Mais c’est vrai que j’ai beaucoup réfléchi entre ces deux albums. J’en avais marre d’être bouffé par l’image du chanteur de rock, qu’on me dise après les concerts "waouh, ça envoie du bois !", que tout repose sur un truc viril, sportif. Tu t’enfermes vite dans un personnage et après, tu t’interdis des harmonies, des arrangements, des sujets, des méthodes d’écriture parce que tu te dis : "c’est pas Luke". Tu rentres dans une binarité où tu deviens un gourou, un idéologue. Ça commençait à ne pas être très drôle et j’ai réalisé… qu’on s’en fichait ! Que c’était de la musique, que justement il fallait que ça soit multiple, différent, vivant.
Comment cette prise de conscience a joué dans l’élaboration de ce nouvel album ?
Avant, on composait la musique et ensuite on écrivait des paroles, parfois un peu par-dessus la jambe, si on avait le temps... C’était très automatique et franchement, parfois, ça aurait été pareil que de chanter en anglais. Là je me suis mis à écrire pendant la tournée des Enfants de Saturne (leur précédent album, ndlr), sans mélodies en tête, sans vraiment savoir si c’était pour Luke, mais pour entretenir le muscle. A la sortie des concerts, encore animé de leur énergie, j’ai découvert que j’écrivais d’autres choses, que je chantais d’autres choses.
Une société qui ne sait plus rire (Fini de rire) et ne sait pas pardonner (Le gardien de prison), le regard que vous portez sur notre époque est assez sombre…
Je m’en excuse profondément ! Je suis gai dans la vie mais dans la musique, je n’y arrive pas. Je m’inspire des traits communs de l’homme d’aujourd’hui, de notre monde moderne. Et je remarque qu’on est un monde sans humour, un monde qui ricane, qui se moque des faibles et qui encense les forts. Un monde où on met en prison et où on oublie. Il n’y a pas de morale à la fin des histoires que je raconte : mon boulot à moi, c’est d’ouvrir une fenêtre sur des sujets et de la refermer à la fin de la chanson.
A qui adressez-vous vos chansons ?
A ceux qui écoutent la musique naïvement, simplement. Pas à ceux qui sont snobs et qui jugent tout avec dix mille références. J’ai beaucoup d’amis non-spécialistes et c’est pour eux que je voulais faire des chansons.
Quels artistes écoutez-vous en ce moment ?
Je n’écoute que du classique français : Berlioz, Bizet, Saint-Saëns, Debussy… Ce n’est pas pour faire le snob mais c’est la seule manière d’écouter de la musique au premier degré. Ecouter des chansons, ça m’angoisse : dès qu’une chanson est bien, ça me fait chier de ne pas l’avoir écrite ! Cette vie musicale ascétique m’est nécessaire pour créer, pour réussir ce travail schizophrénique de fusion entre un texte et une mélodie. J’essaye de ne pas me disperser : je suis comme un ébéniste spécialisé dans les pieds de table Louis XIV ! Je fais mes chansons avec du métier, même si c’en n’est pas un.
Que pensez-vous des "baby rockers" français qui font le choix de chanter en anglais ?
C’est très bien ce qu’ils font mais je ne suis pas dans leur camp Que veulent-ils, que le français devienne une langue régionale ? Déjà les conseils d’administration des grandes entreprises sont en anglais. Bientôt, on va voter les lois européennes en anglais et faire des mathématiques et de la sociologie en anglais. Est-ce qu’on a envie que le français devienne la langue des pauvres, des ignorants, des artistes ? Moi non. Je suis pour l’internationalisation des cultures si elle aboutit à un métissage, pas à un mimétisme.
Luke D’autre part (Jive Epic/Sony Music) 2010
En concert le 26 mai 2010 au Bataclan, à Paris.