Alexandre Desplat, un Frenchy d'Hollywood
À quarante-neuf ans, Alexandre Desplat, le prolifique compositeur, jouit d’une magnifique réputation des deux côtés de l’Atlantique. Malgré le fait qu’il a raté le César de la meilleure musique de film pour Le Prophète, il est en lice avec Fantastic Mr Fox, le film de Wes Anderson, pour l’Oscar de la meilleure composition originale. Mais il figure aussi à beaucoup de génériques à Hollywood. Portrait.
À quarante-neuf ans, Alexandre Desplat, le prolifique compositeur, jouit d’une magnifique réputation des deux côtés de l’Atlantique. Malgré le fait qu’il a raté le César de la meilleure musique de film pour Le Prophète, il est en lice avec Fantastic Mr Fox, le film de Wes Anderson, pour l’Oscar de la meilleure composition originale. Mais il figure aussi à beaucoup de génériques à Hollywood. Portrait.
Un nouveau compositeur français prend sa place dans l’histoire de Hollywood. Après l’Oscar emporté par Georges Delerue (A Little Romance, en 1980, outre quatre nominations), les trois Oscars de Michel Legrand (L’Affaire Thomas Crown en 1969, Un été 42 en 1972 et Yentl en 1984, et dix nominations) et les trois oscars de Maurice Jarre (Lawrence d’Arabie en 1963, Docteur Jivago en 1965 et A Passage to India en 1985, et six nominations), c’est au tour d’Alexandre Desplat, nommé pour la troisième fois : The Queen en 2007, L’Étrange histoire de Benjamin Button en 2008 et Fantastic Mr Fox en 2010.
Il est vrai que Hollywood s’est amouraché de ce compositeur suractif qui a signé plus de soixante-dix bandes originales de films et des dizaines de musiques pour la télévision. Sur son carnet de commandes des mois à venir, le prochain Harry Potter, le deuxième Largo Winch ainsi que The Ghost Writer, le film de Roman Polanski, Tamara Drewe de Stephen Frears, et The Tree of Life de Terrence Malick.
D’ailleurs, comme souvent avec les compositeurs de cinéma, la reconnaissance lui est d’abord venue de l’étranger : l’Ours d’argent à Berlin pour De battre mon cœur s’est arrêté en 2005 et un Golden Globe pour Le Voile des illusions en 2007. Avant, il avait déjà deux fois raté le César de la meilleure musique originale en 1997 pour Un héros très discret et en 2002 pour Sur mes lèvres. (deux films de Jacques Audiard)
Classique d'abord
Si certains compositeurs comme Ennio Morricone se sont trouvé compositeurs de musique de film un peu par hasard, Alexandre Desplat y a toujours pensé, même si le chemin a été un peu tortueux. Auparavant, il fait tout le parcours d’un musicien classique : piano, trompette puis flûte traversière, cours d’analyse musicale de Claude Ballif au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, ateliers avec Yanis Xenakis, voyage à Los Angeles auprès de Jack Hayes, orchestrateur d’Henry Mancini et Leonard Bernstein.
Au passage, il côtoie Ray Lema ou Carlinhos Brown, mais compose aussi Oh mon bateau, l’énorme et unique tube d’Éric Morena. Et, grâce à son ami Karl Zéro, il entre en télévision, composant pour Canal + Les heures de musique originale pour accompagner la folie d’une chaîne alors terriblement créatrice, mais aussi la musique de la série de dessins animés Pif et Hercule.
Vers le milieu des années 90, il s’affirme enfin, notamment avec Un héros très discret de Jacques Audiard. Alexandre Desplat est un homme d’amitiés. Sa fidélité envers Jacques Audiard et Florent-Emilio Siri, dont il "fait" tous les films, est non seulement celle d’un homme de musique avec des hommes d’images, mais aussi des complicités actives de fous de cinéma.
Plutôt disert quand il compose pour Florent-Emilio Siri, toujours à la recherche d’une certaine épure avec Jacques Audiard, il a une explication à son succès comme à celui de ses devanciers français à Hollywood : "En France, où le cinéma est littéraire, la musique est mineure. On apprend la contrainte, donc la retenue." Illustration magistrale avec Sur mes lèvres en 2001 puis De battre mon cœur s’est arrêté en 2005, tous deux de son cher Jacques Audiard : il fait intervenir la musique de manière insidieuse, en la dénouant du silence avec un tact et une précision qui font écarquiller les yeux aux professionnels des deux côtés de l’Atlantique.
Références cinématographiques
Desplat avoue aujourd’hui volontiers qu’au commencement, on entendait beaucoup ses maîtres dans sa musique – Bernard Herrmann, Georges Delerue, Nino Rota... Né en 1961, Desplat fait partie de la dernière génération de professionnels du cinéma qui ont fait leur culture dans les salles obscures. Et c’est là qu’il devient fou de la comédie italienne à la Dino Risi mais aussi des instants déchirants où la bande originale d’un film transporte une scène dans une autre dimension, comme lorsque les garçons dansent dans le brouillard devant le palace fermé d’Amarcord de Federico Fellini
Les cordes sont au centre de l’écriture de Desplat, mais aussi de sa direction d’orchestre : il exige des instrumentistes le minimum de vibrato, l’usage de sourdines et – surtout – un jeu très rythmique qu’il utilise pour ce qui est peut-être son seul tic de compositeur, les entrelacs de phrases courtes répétées dans lesquelles les pupitres se heurtent et se décalent à l’envi. Mais il aime aussi beaucoup les instruments traditionnels qui donnent une couleur géographique ou historique à ses partitions : le shakuhashi japonais, le cymbalum d’Europe centrale, les bols tibétains, le violoncelle électrique… Et, très souvent, il semble que c’est son amour du jazz qui fait jouer l’orchestre classique…
Alors, d’Ang Lee à Patrice Leconte, de Francis Veber à Philippe Harel, de Francis Girod à Robert Guédiguian, son CV s’allonge démesurément. Et il appartient déjà à cette petite phalange de compositeurs pour lesquels les récompenses ont moins d’importance que leur discographie.