Nicolas Jules, un artiste singulier
Salué par la critique et les professionnels comme un des plus doués des trentenaires de la chanson française, Nicolas Jules sort son quatrième album, Shaker.
Portrait
Salué par la critique et les professionnels comme un des plus doués des trentenaires de la chanson française, Nicolas Jules sort son quatrième album, Shaker.
La chanson est peut-être le seul domaine dans lequel les prix ne récompensent pas forcément les forts en thème ni les premiers de la classe. Nicolas Jules n’a certes pas les bulletins d’un as du Top 50 ou d’un bon élève de la téléréalité musicale. Mais chaque fois qu’en concert ou en disque, il doit affronter un jury de professionnels, il impressionne, il séduit, il enthousiasme, il gagne la couronne. Depuis une dizaine d’années, il a récolté une moisson impressionnante de lauriers : prix chanson des Découvertes du Printemps de Bourges (quand on y donnait encore un prix), plusieurs Coups de cœur de l’Académie Charles-Cros, le prix du jury au festival Alors Chante de Montauban…
Après que le métier de la chanson a embouché les trompettes de la renommée en 2008 pour son troisième album, Powête, on sent bien qu’il en sera au moins de même pour son nouveau disque, Shaker. Il y a dans ses nouvelles chansons le mélange d’un lyrisme à la Higelin et d’un flegme sombre à la Johnny Cash, le sens du conte d’un Thomas Fersen et l’égotisme partageur d’un Jean-Louis Murat, les mots narquois d’un Nino Ferrer et le funambulisme textuel d’un Alain Souchon… Guitares électriques froissées, arrangements nocturnes et radieux, voix précise et joliment désenchantée, tout rappelle que Nicolas Jules appartient à cette conspiration de poètes qui tordent le rock comme d’autres tordirent le vers – les parages de Tom Waits, de Bertrand Belin, de Dominique A…
Shaker
La genèse de l’album ? "Un disque, c’est toujours simple quand on résume. On ne parle plus des problèmes économiques, des problèmes d’inspiration, des problèmes de rencontres." Alors, on prendra plaisir à croire que l’accouchement de Shaker a été simple, que ses onze nouvelles chansons ont coulé de source. "Cela dit, c’est une nouveauté dans mon travail : d’habitude, j’accumulais les chansons en permanence puis je faisais des albums de bric et de broc, avec du nouveau et de l’ancien et des formes parfois assez différentes. Là, tout est sur un univers commun, une énergie commune : pour la première fois, toutes les chansons d’un album sont écrites dans un temps donné."
Dans ce temps-là, il a lancé des splendeurs comme "Les guirlandes du ciel marchent une fois sur deux/Le plâtre de la lune tombe sur mes cheveux/C’est pas moi qui suis vieux, c’est la nuit", ou des questions qui ressemblent à des aphorismes zen comme "Les Martiens ont une frontière avec qui ?" Il précise : "J’écris à l’ancienne, à la main sur des carnets. J’ai parfois des phrases écrites à part, qui ne sont pas des chansons entières et dont je me dis qu’il y a quelque chose à en faire. Ce que je dis des Martiens en était une. Il est toujours difficile d’écrire des chansons personnelles qui ne copient pas le voisin. Il faut du temps. Il faut des années. Maintenant, j’écris plus vite mes chansons, mais j’en écris moins."
La scène, une obsession
Nicolas Jules compte parmi les artistes qui considèrent qu’il n’y a pas deux temps séparés, l’un pour le disque, l’autre pour la scène. Depuis quinze ans, il ne s’est pas passé un mois sans qu’il donne de concert : "Je n’ai jamais eu de pause. Je n’ai jamais souhaité en avoir, en tout cas." Sa manière de "never ending tour" (pour reprendre l’expression de Bob Dylan) est aussi le terrain d’expérimentation de ses nouvelles chansons dont certaines, curieusement, ne seront pas portées à la scène. "La scène est ma priorité, ma vie, mon obsession de tous les jours mais quand j’écris j’en suis totalement déconnecté. Tout commence par le texte et, quand j’écris, j’y plonge à 100%. Mais il y a des chansons que je ne chanterai jamais en public parce qu’au moment de préparer le concert, je trouve qu’elles ne conviennent pas du tout à la scène. Ce sont deux métiers et je les sépare."
Donc, pour la scène, il poursuit sa route avec son fidèle batteur Roland Bourbon et, depuis peu, avec une contrebassiste, Béatrice Gréa, qui, malgré de beaux états de service, n’avait jamais encore fait de concerts. Et, sur scène, il n’insiste jamais sur le consensus et le divertissement, mais il affirme clairement ses singularités – singularités que l’on a fini par prendre par son autoportrait. Mais il se défend d’être autobiographique dans ses chansons. "J’écris avec des obsessions récurrentes, comme la pudeur. Et la pudeur est devenue un sujet de chansons. J’essaie de me cacher un peu, tout en ne visant que moi. Évidemment, je n’ai aucun contrôle là-dessus. Est-ce que ces nouvelles chansons sont moins autobiographiques que les précédentes ? Je n’en ai pas l’impression."
Singulier
En ce sens, il ne semble pas suivre la pente de beaucoup des chanteurs de sa génération (il est né en 1973), qui manient – voire manipulent – le "je" avec un naturel chatoyant. Lui semble se séparer de plus en plus de sa génération. "C’est assez conscient. J’ai la volonté de m’en affranchir. Je ne me reconnais pas toujours dans certains de mes collègues de ma génération. D’ailleurs, mes pairs ne sont pas de ma génération, dans la chanson comme dans le cinéma. Mes goûts vont vers le rock’n’roll et la chanson des années 50-60. Et je suis plus Paul Meurisse que Leonardo DiCaprio. Ensuite, c’est simple, il suffit de se laisser aller à faire ce qu’on aime et lâcher prise. C’est un travail, ça : lâcher prise, de ne pas gommer sa personnalité. Mais je préfère aller à fond dans mes imperfections et les assumer."
Nicolas Jules Shaker (Stand By Me/L’autre Distribution) 2010.
En tournée française et en concert à Paris le 15 avril 2010 au Café de la Danse.