Katel, la surréaliste
Dans Decorum, son deuxième disque, la chanteuse française mêle rêve et audace, instruments classiques et pulsion rock, textes exigeants et chatoiement vocal. Avec des échos des années 1970…
Nouvel album
Dans Decorum, son deuxième disque, la chanteuse française mêle rêve et audace, instruments classiques et pulsion rock, textes exigeants et chatoiement vocal. Avec des échos des années 1970…
Yeux d’un bleu surnaturel, visage à la fois doux et austère de Madone flamande de la Renaissance, voix de tête : Katel est un des personnages les plus plaisamment singuliers de cette chanson féminine française qui mêle désormais poésie et extravagance, avec naturel. Après Raides à la ville, album de la révélation paru d’abord chez un indépendant, en 2006, avant une version étendue en 2008 chez Universal, elle revient avec un disque d’une cohérence audacieuse, réalisé par le légendaire duo Bénédicte Schmitt-Dominique Blanc-Francard au studio Labomatic (Julien Clerc, Benjamin Biolay, Carla Bruni…).
Decorum est un disque rêveur, dans lequel des échos d’orchestre viennent percer la brume et des visions fantasmatiques rehaussent des instants amoureux. Il y a dans ce disque quelque chose du rock progressif historique, lorsque le réalisme ne venait pas systématiquement encombrer le regard des artistes sur le monde.
Dans une de ses chansons, Katel chante l’univers du dessinateur et graveur néerlandais Escher, dont les constructions impossibles et les trompe-l’œil sont toujours un défi à la logique de nos perceptions. Mais, s’il fallait lui trouver des compagnons naturels dans l’univers pictural, on penserait naturellement au peintre surréaliste Yves Tanguy et à ses espaces peuplés de formes extravagantes, mais aussi à Félicien Rops et à ses visions sensuelles et baroques saisies entre un palais royal et un bordel.
Par ce biais-là, elle appartient à cette lignée d’artistes français qui n’hésitent pas à bricoler des mythologies mi-féériques, mi-crapuleuses, à naviguer entre angélisme et rudesse, à se laisser tenter également par le Diable et le Bon Dieu – on pense à Danielle Messia, à Claire Diterzi, à Véronique Sanson, à Ange, à Jacques Brel…
Cérébrale et impulsive à la fois, Katel est à la fois pop-rock (avec çà et là des mélodies qui ne craignent pas de creuser des sillons déjà très fréquentés) et joliment extravagante. Sa manière d’associer le violoncelle ou la bombarde aux instruments du rock est toujours bien venue et efficace, dans des couleurs qui rappellent ce dont rêvèrent beaucoup de musiciens las du rock’n’roll comme des variétés dans les années 1970.
Justement, les érudits des musiques créatives se souviennent l’avoir entendue en compagnie de Skye dans le groupe Dun Leia, il y a presque dix ans. Puis elle a mené une carrière personnelle riche à la fois pour la texture de sa voix (on se rappelle son duo avec Yann Tiersen sur son album On tour) et pour la ferveur de ses textes (Dimanche, après l’élection présidentielle de 2007). Elle suscite volontiers l’oxymore chez le critique, tant sur scène qu’au disque, par la hauteur de son timbre et la fermeté de son propos, par la limpidité de sa voix et l’opacité des buissons d’images qui peuplent ses chansons… Et ce disque est sans doute son autoportrait le plus intéressant et le plus sincère.
Katel Decorum (V2 / Universal) 2010