Vague malgache à Musiques Métisses
Si les stars internationales de la musique africaine se sont succédées du 21 au 23 mai à Angoulême, la 35e édition du festival Musiques Métisses a également donné l’occasion aux Malgaches Charles Kely et Mami Bastah de se faire plus largement connaître. Virée charentaise au rythme du salegy et du tandonaka.
De l’océan Indien à la Charente
Si les stars internationales de la musique africaine se sont succédées du 21 au 23 mai à Angoulême, la 35e édition du festival Musiques Métisses a également donné l’occasion aux Malgaches Charles Kely et Mami Bastah de se faire plus largement connaître. Virée charentaise au rythme du salegy et du tandonaka.
Presque un match à distance : Youssou N’Dour, Salif Keita, Angélique Kidjo… Chaque soir, sur la petite île de Bourgines, logée au pied des remparts d’Angoulême, ces ambassadeurs du continent africain sont venus les uns après les autres faire parler la poudre. De ce redoutable combat de chefs est ressortie une double certitude : l’expérience de cette génération pionnière, la première à avoir acquis une dimension planétaire, s’entend autant qu’elle se voit. Et ce qui fédère ces artistes, par delà leurs talents respectifs, tient d’abord à cette capacité d’avoir mis au point une "tambouille", pour reprendre le mot d’Angélique Kidjo, afin de rester accessible au plus grand nombre, quitte à sembler par moments très éloignés de leurs racines.
Dans ces musiques d’inspirations traditionnelles qui font l’essence du festival Musiques Métisses, celles de Madagascar ont toujours bénéficié d’une attention particulière sur les bords de la Charente. Les liens d’amitié très anciens entre Christian Mousset, directeur artistique de l’événement, et le bluesman Tao Ravao, n’y sont pas étrangers. A chacun de ses séjours sur la Grande Île, ce musicien franco-malgache rapportait des cassettes au patron du magasin de disques qu’il fréquentait quand il était lycéen. Le travail de sensibilisation fait par ce précieux informateur a porté ses fruits après la naissance du festival. Jaojoby, D’Gary, Vaovy, Rajery, Regis Gizavo… : pour la très grande majorité des artistes malgaches reconnus à l’échelle internationale, Angoulême a souvent joué le rôle de tremplin.
Rock folk malgache
Cette année, le duo que forme Tao Ravao avec l’harmoniciste Vincent Bucher était aussi de la partie. Tandis qu’ils enregistraient une émission de radio en direct sous le chapiteau d’un bar transformé pour l’occasion en "cabaret clandestin", un autre Malgache était en concert à cinquante mètres de là, sur une des deux scènes gratuites.
Ancien guitariste de Rajery - avec lequel il s’est rendu à plusieurs reprises en terre charentaise depuis 1998 -, Charles Kely est devenu un véritable habitué des lieux (il s’est d’ailleurs installé dans la région avec sa famille). Lors des deux dernières éditions, il avait accompagné la chanteuse tchadienne Mounira Mitchala, lauréate du prix Découvertes RFI en 2007, avec son compatriote bassiste Julio Rakotonanahary et le batteur congolais Émile Biayenda, leader des Tambours de Brazza – à l’affiche de la soirée d’ouverture de Musiques Métisses pour souffler les vingt bougies de sa formation.
Le trio de musiciens a trouvé ses marques et, du coup, s’est mis au service du répertoire de Charles Kely, dont le second album personnel est en finition. Sans se rattacher de façon claire à l’un des genres musicaux de la Grande Île, son style emprunte à la fois au rythme du salegy de la côte nord-ouest et au ba gasy des hauts plateaux. A Antananarivo, dans le quartier d’Anjanahary où il a grandi, pas loin du vieux cimetière situé sur une des collines de la capitale malgache, il a d’abord commencé à chanter sous la férule de ses trois grands frères alors qu’il avait à peine quatre ans : "Tous les jours, ils m’obligeaient à reprendre des chansons traditionnelles", se souvient-il. Le jeune garçon devient soliste de la chorale à l’église protestante qu’il fréquente, puis s’initie à la guitare. Un livre de solfège (en espagnol !) qui traîne dans la maison lui permet de progresser à grands pas et de se mettre au jeu en open tuning (accords ouverts). Reformant le groupe familial avec lequel son père - employé des chemins de fer mais passionné de musique et de théâtre -, allait de village en village, il participe à quelques émissions et se fait remarquer par Rajery grâce à son morceau Ifarakely, "du rock folk à la malgache".
Pour Mami Bastah, programmé le même soir que Charles Kely, le festival d’Angoulême était une découverte. Le prix de l’océan Indien - qui lui a été attribué en fin d’année dernière - a donné un coup d’accélérateur bienvenu à sa carrière, près de trente ans après ses débuts au sein du groupe Remy à la notoriété régionale. Marqué par Bob Dylan, Cat Stevens et bien sûr ses aînés de Mahaleo (septuor emblématique de la mouvance folk song malgache originaire de la même ville d’Antsirabe), ce chanteur-agriculteur a opéré un virage artistique lorsqu’il a décidé de "faire cavalier seul" pour défendre le tandonaka, une musique ternaire quasiment oubliée, tout en l’inscrivant dans la modernité avec les instruments contemporains. Longtemps, il a cherché à la connaître, se méfiant de ce qu’il entendait parfois ça et là et qui le laissait dubitatif. Jusqu’à cette rencontre aussi fortuite que décisive, en 2004 : "J’ai fait un cabaret dans un village, et j’ai rencontré un vieux musicien de quatre-vingt quatorze ans. Ce n’était pas un joueur de tandonaka, mais il en connaissait les structures et il m’a raconté tout ce qu’il savait." Associé depuis un peu plus d’un an aux jeunes musiciens du groupe Mboutah, qui le connaissent depuis longtemps, Mami Bastah s’est à son tour transformé en passeur de traditions.