Insatiable André Manoukian

Avec son dernier album So In love, défilé haute couture de standards pour interprètes stylés (Tété, China Moses, Anaïs, Emily Loizeau, Benjamin Siksou, Helena Noguerra...), André Manoukian, juré "philosophe psycho-érotico-cosmique" de l’émission de télé la Nouvelle Star, revient sur sa passion intarissable pour le jazz, les chanteuses et la vie. Aimant l’amour...

So In Love : le titre du dernier album d’André Manoukian, "Dédé" pour les intimes, reflète les amours de l’émérite juré "philosophe psycho-érotico-cosmique" de la Nouvelle Star. Passion d’abord pour le jazz, qu’il découvre à quatorze ans : chez ce jeune pianiste classique, la rencontre foudroyante avec Fats Waller sonne comme "l’aboutissement de Bach, avec du rythme". Passion, ensuite, pour les interprètes qu’il convie : Tété, China Moses, Anaïs, Emily Loizeau... Des artistes qu’il affectionne pour leurs signatures vocales, univers propres qu’ils trimballent au-delà de leur propre chant. Dans un défilé de standards (Tea for Two, What A Wonderful World, My Funny Valentine...)

"Dédé les doigts de fée" confectionne à chacun un costume sur mesure, élabore un écrin d’accords épurés, arrangements classiques, pour rehausser le bijou de leur voix, laisser libre chant à cette confrontation entre jazz et variété, auréoler la fraîcheur renouvelée avec laquelle les artistes incarnent ces incontournables. Enfin, il y a cet amour qui anime le compositeur, sentiment éternel : "Mozart écrit La Reine de la nuit parce qu’il est amoureux fou d’une chanteuse ; Beethoven compose la Sonate au clair de lune après s’être fait larguer... Que ce soit un blues ou une symphonie, le créateur exprime ses chagrins, ses émois, sous une forme artistique, qui finit par le guérir. Toute la musique tourne autour de ça, de l’amour et du territoire, car aimer c’est partir à la conquête de nouveaux horizons ! "

Du petit écran au jazz cosmique

La carrière musicale d’André Manoukian débute à Lyon, à la fin des années 1970. Chaque soir, il traîne ses guêtres au Hot Club, enchaîne les spectacles totaux, audacieux, s’essaie au free jazz, mais se fait virer parce qu’il "joue trop avec les doigts, pas assez avec les coudes". Puis décide de repartir sur des gammes bop, de réviser son Bill Evans : direction le mythique Berklee College of Music à Boston, pour apprendre des bases solides, avant de faire table rase. "L’étude du jazz reste compliquée ! Il faut acquérir beaucoup de fondements avant de s’en débarrasser pour frayer son propre chemin. En quête de ma voie, j’ai rencontré la figure de la chanteuse. Je suis tombé du côté féminin de la force ! " Il y eut ainsi de nombreuses muses, égéries, produites, épaulées, parmi lesquelles Malia, mais l’on retiendra surtout l’une des plus connues, celle qui fut son épouse, et à laquelle il tailla le so sexy Au fur et à mesure : Liane Foly.

La rupture – ou la continuité – était opérée : de l’aspect underground du jazz, Manoukian passait au versant variété, par la magie des voix, explorations de sons, de mondes, au fil de collaborations prestigieuses : Richard Galliano, Charles Aznavour, Gilbert Bécaud, Michel Petrucciani, Natacha Atlas, Janet Jackson... Alors, quand on lui propose de devenir juré du plus célèbre télé-crochet du "PAF" (le paysage audiovisuel français, ndlr), il n’hésite pas une seconde : "C’était comme demander à un irrépressible gourmand de tester un pâtissier ! ", compare-t-il. "Evidemment, je redoutais que les gâteaux ne soient trop industriels, mais dès la seconde édition, ils se sont avérés délicieux ! " Et puis, d’emblée, l’équipe des jurés de le Nouvelle Star s’octroie cette liberté de ton qui fabrique la signature de l’émission : les coups de gueules, les scandales, les attaques de Marianne James ("Les Français ont de la merde dans les oreilles ! ", sic), les "dédéfis" (ce jeu de ping-pong rhétorique entre Manoukian et le quotidien Libération), contribuent à forger son énorme succès. Peut-être même à créer quelques oasis musicaux dans un désert télévisuel.

 

 

"Aujourd’hui, s’opère un profond bouleversement", remarque André Manoukian. "Le marché du disque n’existe pratiquement plus et paradoxalement, les gens n’ont jamais eu autant besoin de musique, n’en ont jamais créé à ce point... Ce phénomène me fascine, et j’ai cette faculté à partager mes enthousiasmes, notamment par le biais d’émissions télévisées." Ainsi, après Tété ou Dédé (road-movie américain avec le chanteur Tété, diffusé sur France 5), et Dédé les doigts de fée (portrait en musique d’invités, sur Paris Première), l’infatigable quinquagénaire possède encore dans ses cartons une émission sur les origines ethniques du jazz... Un concept qu’il relate les yeux brillants, avant d’évoquer la première, en juillet, de son festival, le Cosmo Jazz, au sommet de l’Aiguille du Midi, dans les Alpes françaises. "A Chamonix, où je vis, il n’y avait pas de jazz, donc je m’emmerdais. J’ai réalisé l’événement avant tout pour mon plaisir", sourit-il.

Cet été, l’archet magique du violoncelliste Vincent Segal, et le jeu subtil du pianiste Yaron Herman résonneront dans un écrin magnifique, entouré de quatre glaciers... Et puis, en parallèle, Dédé poursuit l’utopie astro-musicale de Pythagore, qui cherchait à recomposer la musique de la lune autour de la terre. Sur le modèle de cette "musique des sphères", Dédé planche depuis dix ans sur un logiciel qui fabriquerait la "musique des gens", à partir de leur nom. Autre manifestation d’un éternel désir...

André Manoukian So In Love (EMI) 2010

En concert à Paris les 22 et 24 juin à la péniche Anako et le 22 septembre 2010 au Duc des lombards.

Cosmo Jazz Festival, les 27, 28 et 29 juillet 2010 à Chamonix.