Kin l’électrique

Les Kasaï All Stars

08/06/2010 -  Paris - 

Dans le cadre du festival d’Ile de France, la formation congolaise Kasaï All Stars a pris d’assaut le 4 et le 5 octobre le musée du Quai Branly avec ses percussions et ses instruments traditionnels électrifiés. Du Kasaï à Kin, musicalement, rien ne change, excepté le volume !

De l’obscurité surgit un homme, qui porte le tam-tam. Il harangue la foule dans sa langue natale : "Commerçants, paysans, unissez-vous pour le développement du Kasaï !". Sur la scène, les quatorze musiciens se placent : guitares électriques, likembés amplifiés (pianos à pouce), xylophones, lokombé, danseuses, chanteurs se mettent en mouvement sous l’œil attentif du chef coutumier.

Du musée du Quai Branly, au cœur de Paris, nous voilà transposés dans un faubourg de Kinshasa devant une cérémonie de la nouvelle lune, fête traditionnelle kasaïenne, où les groupes de la région chantent et dansent pour le salut du chef coutumier.

Monter le son

Kasaï All Stars, une réunion de cinq groupes kasaïens de Kinshasa, "préparée pour la circonstance des voyages" comme le dit joliment Kabese, le "vice-président" du groupe, a pu exister sur l’impulsion d’un producteur, Vincent Kenis. Sans cela aurait-il été possible de faire s’unir des musiciens du Kasaï ? Au centre de la République démocratique du Congo, le Kasaï est une province grande comme la France, aux infrastructures vétustes, voire inexistantes, au sous-sol diamantifère et à la pauvreté endémique. Pas de routes, pas de courant, pas d’eau, mais…des diamants.

Un paradoxe longuement relevé par Mi Amor, leader de Basokin, la plus ancienne formation formant le Kasaï All Stars, et "président" du groupe. Avec les Kasaï All Stars, assure-t-il  "les membres du groupes se sont mis ensemble pour prêcher l’unité dans la diversité. Il est parfois difficile de se comprendre dans le Kasaï. Vous n’avez pas idée de la mosaïque culturelle de cette région. Nous chantons dans cinq langues et avons adapté le répertoire de nos groupes respectifs aux instruments de tout le Kasaï All Stars".

Originaires des différentes régions du Kasaï, les musiciens ont voyagé vers Kinshasa au beau milieu des années 1970, souvent pour étudier ou trouver un emploi quelconque. Ils y amènent alors  instruments et rythmes traditionnels, mais le vacarme assourdissant de Kin pousse aussi les musiciens à prendre des décisions radicales : s’ils veulent se faire entendre, il va falloir monter le son.

Si au village, tous écoutaient attentivement le message des musiciens, à Kin, tout est différent. Les jeunes, souvent nés dans la capitale, parlent le lingala et ne comprennent pas les paroles des chansons de leurs aînés. Pour s’imposer au public, les "tradi-modernes" de Kin décident alors d’électrifier un certain nombre d’instruments : les guitares, les likembés, les xylophones. Et hop, un genre nouveau était né à Kin à grands coups de distorsions sonores !

Ironie de l’histoire

A travers la  cérémonie de la nouvelle lune, le spectacle des Kasaï All Stars raconte ce bouillonnant mélange culturel kinois. Les saynettes se succèdent, différents chanteurs se produisent devant le chef coutumier qui agrée ou rabroue certains groupes. La cérémonie de la nouvelle lune, raconte Mi Amor, était une fête traditionnelle du Kasaï largement pratiquée avant que les missionnaires ne la réprime. En tant que fête païenne, elle était censée interdire l’accès au paradis chrétien.

Il raconte avec une pointe d’amertume que certains instruments confisqués par le colonisateur pour être officiellement brûlés se retrouvent finalement exposés dans la "tour aux instruments" du musée. Triste ironie de l’histoire. Selon le très érudit Mi Amor, ancien professeur de latin dans le Kasaï, près de cinquante ans après la colonisation, les sectes ont pris le relais et cette cérémonie, largement diabolisée, est en passe de disparaître. Elle est aujourd’hui jouée au musée. Et Mi Amor insiste : ce qui sauve cette musique typiquement traditionnelle, ce qui la rend moderne, c’est l’amplification. Le reste, paroles et mélodies, tout est préservé, identique à ce qui se pratiquait au village.

Les Kasaï All Stars ne jouent que très rarement dans la capitale congolaise, mais Basokin, Masanka ou Tandjolo Premier tournent par contre à Kin et dans les provinces. Ils y chantent l’amour du terroir, l’unité et la prévention des conflits, sur fond de musique de transe, où percussions et lamelles métalliques du likembé racontent avec finesse toute l’inconstante urbanité de Kin la belle.

Eglantine Chabasseur