Richard Galliano joue Bach
Le 1er août, l’accordéoniste Richard Galliano fait le trait d’union entre le Paris Jazz festival et Classique au Vert, au Parc Floral à Paris. Le "passeur" a travaillé toute sa vie à sortir l’accordéon des flonflons du musette, en l’intégrant au jazz ou à la musique contemporaine. Aujourd’hui, il reprend l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, comme une évidence. Entretien.
En concert à Paris
Le 1er août, l’accordéoniste Richard Galliano fait le trait d’union entre le Paris Jazz festival et Classique au Vert, au Parc Floral à Paris. Le "passeur" a travaillé toute sa vie à sortir l’accordéon des flonflons du musette, en l’intégrant au jazz ou à la musique contemporaine. Aujourd’hui, il reprend l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, comme une évidence. Entretien.
RFI Musique : Qu’est ce que l’accordéon apporte à l’œuvre de Jean-Sébastien Bach ?
Richard Galliano : Une certaine rareté. Cela fait cinquante ou soixante ans que les accordéonistes jouent Bach mais c’est une démarche souvent restée inconnue. L’accordéon est un orgue portatif, qui sied très bien à l’œuvre de Bach : le risque est cependant de tomber dans le "complexe des grandes orgues", c’est à dire de choisir de jouer à l’accordéon ce qui a été composé pour les orgues. J’interprète des partitions pour violon, pour piano, pour hautbois, qui mettent davantage en valeur l’accordéon. Et puis je joue en sextet, un écrin classique, des morceaux assez connus de Bach, très accessibles. L’accordéon que j’utilise a été fabriqué 200 ans après Bach, et pourtant cela semble évident d’interpréter son œuvre, comme s’il avait composé pour l’accordéon.
Que cela vous apporte-t-il, en tant que musicien et compositeur, de jouer Bach ?
C’est une grande leçon d’humilité. Bach était un artisan de la musique. Il n’y a jamais d’artifice gratuit dans ses compositions. Sa musique est toujours très profonde, très humble. Et puis, je prends un vrai plaisir à jouer cette musique en sextet, à faire jaillir de l’émotion classique. C’est très différent de jouer de la musique contemporaine ou du jazz.
En 1979, vous avez repris Ravel et Debussy, aujourd’hui Jean-Sébastien Bach, avez-vous hérité d’une culture classique ?
Disons que je me suis toujours intéressé à la musique classique. Enfant, je recopiais les résumés de la vie des grands compositeurs. J’avais quelques disques vinyles que j’écoutais beaucoup : Chopin, Gioacchino Rossini… Après il y a eu le conservatoire, j’ai approfondi ma culture classique et j’ai découvert le jazz qui me fascinait tout autant. Aujourd’hui, toutes les musiques me plaisent ! Hier, par exemple, je me suis installé à la batterie de mon fils, j’ai mis un disque de James Brown et je me suis amusé à jouer funky ! Pour revenir au classique, j’ai horreur de l’idée de la musique "savante".
Jouer Bach à l’accordéon, est-ce un prolongement de votre démarche du New Musette, une nouvelle façon de dynamiter l’image de l’accordéon variété ?
J’ai été adolescent dans les années 60/70, la décennie du jazz swing par excellence. C’était l’époque de l’accordéon dancing. Je n’ai rien contre la musique folklorique, mais il y avait une posture obligée du joueur d’accordéon, toujours souriant, c’était très cliché. Quelques noms : Yvette Horner – la plus musicienne de tous-, André Verchuren ou Marcel Azzola ont traîné l’accordéon dans la boue, parce qu’ils l’ont joué désaccordé, avec une lame juste, une très basse, l’autre très haute. Cela peut être très poétique comme son, mais si on joue l’instrument uniquement de cette manière, cela fait un boucan d’essaim d’abeilles. Du coup, les mélomanes ont rejeté l’instrument, en pensant que l’accordéon, c’était ça. Adolescent, j’ai pris cette image de plein fouet, j’en ai beaucoup souffert et j’ai toujours voulu remettre les pendules à l’heure. Cela me poursuit encore aujourd’hui !
Comment le public réagit à ce nouveau disque ?
Très bien ! C’est une bonne surprise : il est arrivé en tête des ventes de musique classique. Mais il y a encore un certain racisme musical : il y a deux ans, j’étais à une émission et une dame dans le public a réagi au projet en disant "Bach à l’accordéon, c’est rigolo". Les clichés sont tenaces ! Même si l’image de l’instrument a beaucoup évolué en France, on a du mal à considérer l’accordéon comme un instrument à part entière. Pourtant, c’est un instrument universel très utilisé dans le forro au nord du Brésil ou dans les Balkans par exemple ! Sur scène, j’ouvre souvent le spectacle avec Bach, puis Piazzola, ensuite mes propres compositions. Je joue strictement la partition écrite de Bach, je n’improvise pas du tout. Dans le public l’ambiance est quasi religieuse et il se passe quelque chose de magique avec les musiciens. Ensuite, avec Piazzola, le public se sent plus à l’aise, réagit plus ouvertement, se lâche un peu plus.
Richard Galliano sextet : "De Bach à Piazzola", Parc Floral, dimanche 1er août, 16H30, en clôture du Paris Jazz Festival.
Richard Galliano joue Bach (Deutsche Grammophon/Universal Jazz) 2010