Yann Tiersen se réinvente
Planant et électrique, le sixième album studio de Yann Tiersen réserve quelques surprises aux inconditionnels de la Valse d’Amélie. Exit les mélodies de poche et l’orchestration minimaliste : l’ombrageux Brestois accouche sur Dust Lane de mini-symphonies post-rock où s’entremêlent claviers, guitares saturées et chœurs dans un étonnant maëlstrom sonore. Rencontre.
Nouvel album, Dust Lane
Planant et électrique, le sixième album studio de Yann Tiersen réserve quelques surprises aux inconditionnels de la Valse d’Amélie. Exit les mélodies de poche et l’orchestration minimaliste : l’ombrageux Brestois accouche sur Dust Lane de mini-symphonies post-rock où s’entremêlent claviers, guitares saturées et chœurs dans un étonnant maëlstrom sonore. Rencontre.
C’est au milieu d’un salon spacieux mais encombré de paquets de cigarettes, de guitares et de centaines de vinyles que Yann Tiersen reçoit, chez lui, cet après-midi-là. Sur la platine, l’électro fantomatique de Third Eye Foundation, mystérieuse émanation de son ami anglais Matt Elliott. "Matt est un ami très proche, que j’ai longtemps côtoyé sur mon premier label (ndlr, le label nancéen Ici d’Ailleurs). Son influence doit s’entendre quelque part sur cet album", sourit-t-il.
De fait, le choix de l’ambiance sonore en dit long sur la nouvelle orientation musicale de Dust Lane. Le piano-jouet laisse place aux Moogs et aux boucles de guitare saturée, les mélodies au charme instantané cèdent le pas à de longues plages ascendantes. "Je me suis un peu lassé des structures couplet-refrain, explique-t-il. J’ai longtemps dit que mes pièces instrumentales étaient construites comme des chansons. Mais sur cet album, j’avais besoin d’être plus libre dans la forme. Les voix arrivent parfois à la fin d’un titre, il n’y a plus vraiment de règle."
À ses traditionnels compagnons de route (Claire Pichet, Dominique A), Yann Tiersen a préféré les chœurs majestueux de Matt Elliot, Gaelle Kerrien et des Parisiens de Syd Matters, un "coup de cœur de longue date". Inutile donc de s’attendre aux ritournelles pop qui ont fait le succès de Monochrome ou des Jours Tristes (avec Neil Hannon). Les voix se fondent dans la matière sonore, les chansons s’étirent jusqu'à un dénouement cathartique.
Une sensation d’espace, de perte de soi orchestrée avec un incroyable sens du détail et du contraste par l’homme-orchestre de la Rue des Cascades. "Sur cet album, j’ai réussi ce que j’ai toujours eu envie de faire, explique-t-il. Quelque chose de très dense, un peu comme Le Sacre du Printemps ou les œuvres de Messiaen. Un magma sonore dans lequel, lorsque tu regardes de près, tous les détails apparaissent."
Palestine
Comme ses prédécesseurs, Dust Lane a été conçu dans la nature impétueuse de l’île d’Ouessant, le fief de Yann Tiersen. "J’ai couché toutes les idées de cet album là-bas, dans mon pied-à-terre. C’est depuis longtemps mon endroit favori pour composer ou me reposer des tournées."
Plus inattendu, l’autre lieu symbolique de l’album a pour nom Gaza. Un souvenir indélébile pour le musicien brestois. "À la fin de la dernière tournée il y a trois ans, le responsable du centre culturel français nous avait invité à faire deux concerts là-bas, devant des lycéens. Certains d’entre eux ont d’ailleurs été tués après une incursion de l’armée. Ça a changé ma vie, confesse-t-il. J’ai été bluffé par la solidarité, la soif de culture de ces ados. Tout l’album a été imprégné de cette expérience-là". Des impressions retranscrites pudiquement sur le superbe Palestine, un morceau de rock bruitiste centré autour des lettres du pays répétées à l’infini.
Digérer Amélie Poulain
Aventureux et sans concessions, ce sixième album est l’œuvre d’un artiste à la liberté artistique totale. Mais il aura fallu pour cela chasser les malentendus nés de l’énorme succès d’Amélie Poulain.
"La B.O du film m’a rapporté tout un public beaucoup plus sensible au flonflon et à Montmartre, c’était un complet malentendu, explique-t-il. Là où j’ai souffert, c’est sur la tournée des Retrouvailles, où pas mal de gens décontenancés par notre côté rock quittaient la salle avant la fin. Tout cela est digéré maintenant. Et beaucoup d’étrangers m’ont découvert avec Amélie et continuent à me suivre aujourd’hui."
Il aura fallu, aussi, préserver coûte que coûte son indépendance. "C’est un principe que j’ai gardé depuis le début, explique-t-il. J’ai toujours enregistré chez moi, alors que j’aurais pu demander d’énormes moyens à ma maison de disque après L’Absente. Sur Dust Lane, la maison de disque n’est plus là. Ma compagne s’occupe de la tournée, du management. Tout est devenu beaucoup plus sain."
Jamais à court d’idées, Yann Tiersen réserve déjà quelques surprises pour les premières dates de sa tournée. "Nous commençons à New York avec deux concerts spéciaux." Le concept ? "Prendre le contre-pied de l’album en le rejouant intégralement acoustique, avec cordes et bois."
Yann Tiersen Dust Lane (Mute/Naïve) 2010
En tournée en France et en Europe, le 22 novembre à Paris (Élysée Montmartre)…