Gérard Berliner, la compassion et l’Histoire

Qu’il triomphe avec le 45 tours de Louise ou avec son spectacle sur Victor Hugo, la passion de Gérard Berliner pour le passé marquera le souvenir d’un chanteur brutalement emporté à 54 ans.

L'auteur de Louise disparaît

Qu’il triomphe avec le 45 tours de Louise ou avec son spectacle sur Victor Hugo, la passion de Gérard Berliner pour le passé marquera le souvenir d’un chanteur brutalement emporté à 54 ans.

En annonçant la mort brutale de Gérard Berliner à l’âge de 54 ans, la plupart des radios françaises ont passé cette chanson : "Le deuil qu'a porté Louise/C'est le Bon Dieu qui l'a porté/La vie qu'a travaillé Louise/C'est le Bon Dieu qui l'a aidée". Histoire dramatique d’une femme de chambre qui avorte de l’enfant qu’elle attend de son fiancé mort à la guerre de 14, Louise symbolise et peut-être vampirise la carrière de Berliner. Sortie au printemps 1982, la chanson a été le grand tube de l’été qui suit, dominant Le Cimetière des éléphants par Eddy Mitchell, Just an Illusion d’Imagination ou Femmes je vous aime de Julien Clerc, dont la thématique et l’écriture sont beaucoup plus conformes à la norme du succès estival. Avec ses images humbles et son parfum de sociologie, sa foi dans la douceur du Bon Dieu et la collision de plusieurs compassions rétrospectives (les massacrés de la Grande Guerre, la condition faite aux femmes, l’oppression des classes serviles par la bourgeoisie…), Louise compte parmi les chansons qui broient le cœur de chaque Français qui l’écoute.

Même si cette chanson peut être considérée comme un de ces tubes qui tendent à éclipser l'œuvre entière de son interprète, Louise est un bon condensé de la manière et des intentions de Gérard Berliner. Répugnant au vacarme des grands destins, il leur préfère les sentiments courts, sobres et patients des petites gens. Ce qui le nourrit, c'est l'empathie, le goût de se plonger dans un autre temps, un autre lieu, une autre souffrance. Il chantera aussi Les Amants d'Oradour et un certain nombre de chansons à la tendresse pointilleuse qui abuseront parfois du rythme de la valse, trois-temps efficace qui ne connaît de sourire que celui de la mélancolie.

Né en 1956 à Ménilmontant, il enregistre son premier 45 tours à seize ans à peine, tout irradié de son admiration pour Jacques Brel. Après quelques expériences de comédien, la rencontre avec le parolier Frank Thomas est décisive : l’auteur de tubes de Claude François, Joe Dassin, Marcel Amont ou Hugues Aufray lui donne Louise. Déjà remarqué auparavant en première partie de Marie-Paule Belle et Michel Sardou à l’Olympia, Berliner refuse de faire fructifier son succès en partageant l’affiche de Michèle Torr et lui préfère la première partie de Juliette Gréco à l’Espace Cardin. Mais il ne retrouve pas de succès à cette mesure et mène pendant des années une carrière en demi-teinte et, après s’être éclipsé un moment dans le téléfilm, fait un retour remarqué en 2004 avec Mon alter Hugo, spectacle parlé et chanté dans lequel il évoque sa passion pour un poète qui a marqué sa vie. Deux ans plus tard, il crée un tour de chant entièrement consacré à Serge Reggiani. À chaque fois, pointe sous l’hommage un mélange curieux de nostalgie et d’humanisme acharné qui ressemble à Louise.

Les gazettes avaient aussi révélé un détail pittoresque : Gérard Berliner était le demi-frère de Bruno Berliner, célèbre gangster membre du célèbre "gang des postiches" qui avait défrayé la chronique dans les années 1980.