Joby Bernabé, slammeur avant l'heure

"Qu’est-ce que je pourrais dire de ma vie ?" C’est par cette question posée à lui-même que Joby Bernabé cherche à reprendre pied quand en ce dimanche de novembre au lendemain de son concert marseillais, ce colosse du verbe créole, cette force de la nature à la voix douce, se doit à l’heure du petit déjeuner de revenir sur les grandes étapes de sa vie. La suite en paroles et sur un double CD anthologique tout simplement baptisé Trente Années de Paroles Partagées.

30 ans de carrière

"Qu’est-ce que je pourrais dire de ma vie ?" C’est par cette question posée à lui-même que Joby Bernabé cherche à reprendre pied quand en ce dimanche de novembre au lendemain de son concert marseillais, ce colosse du verbe créole, cette force de la nature à la voix douce, se doit à l’heure du petit déjeuner de revenir sur les grandes étapes de sa vie. La suite en paroles et sur un double CD anthologique tout simplement baptisé Trente Années de Paroles Partagées.

Cela fait 30 ans que le Martiniquais Joby Bernabé habite les scènes de sa voix grave et amicale, une voix qui parle aux ancêtres et réveille les vivants en leur murmurant des mots de tous les jours. Cet anniversaire, Joby Bernabé a souhaité le célébrer avec un double album sur lequel celui qui ne se pense pas conteur réédite sept morceaux de ses anciens titres et quelques nouveautés mise en musique par Alfred Fantone.

"La confusion vient probablement aussi du fait qu’en parallèle de l’écriture de mes textes, j’ai joué dans Rue Cases Nègres, le film d’Euzhan Palcy, le rôle d’un conteur. A la même époque, je suis invité au Festival de Martigues comme conteur. Comme je ne connais pas de conte, j’apprends par cœur Conte de la Lune pleine quand elle marronne dans les Bois que je mets en scène avec mes musiciens. Il y a pleine lune ce soir-là, le conte a un tel impact que le journaliste du Monde écrit en première page : 'Le conteur Joby Bernabé'. Du coup, je suis plus conteur que jamais. Ça me sera très difficile de me départir de cette image, de faire admettre mes musiciens. De plus, la Martinique manque de critiques d’art, donc personne pour approfondir le sujet. Moi, je dis que je suis diseur, celui qui dit. Aujourd’hui, on me définit comme slammeur, mais je ne le suis pas. J’étais là avant" tempête Joby Bernabé avant d’ajouter : "en 2012, je me rapprocherai du jazz avec un trio basse, batterie, piano et des textes en français" dit-il.

Parcours


"Je suis né ne 45 à St-Pierre, l’ancienne capitale de Martinique. De mon l’enfance, je me souviens des jeux, des longs bains de mer avant ou après l’école. Tout ça dans une grande famille très bonne (rires) avec une mère très croyante, qui s’occupait essentiellement de ses 10 enfants. Un père, un peu comme tous les pères, peut-être pas aussi volage que certain, mais quand même… Le foyer était vraiment matriarcale et matrifocale. J’ai été entouré d’affection, d’amour par la mère et d’une certaine sévérité par le père. Puis on est parti vivre à la capitale Fort-de-France, j’ai été accepté au Lycée Schœlcher.".

Puis direction Montpellier en 63, après le bac pour suivre des études d'espagnol. "Très vite, j’ai vu que j’aimais cette langue, mais que je n’étais pas un super étudiant. J’aimais sortir la nuit, voyager, rencontrer les filles. En 68, j’ai du faire mon service militaire dans les Chasseurs Alpins. Le petit garçon des îles qui se retrouve alors dans le froid des Alpes avec des adjudants complètement fantasques, rencontrant les premières personnes d’autres communautés, car en tant qu’étudiants, on avait un peu tendance à rester entre nous. Une période que j’ai appréciée, malgré certaines duretés. En 69, je rejoins mon cousin Alfred qui était devenu entre temps prof agrégé à Nanterre, pour boucler ma licence dans les derniers soubresauts de mai 68. C’est alors que je rencontre un copain qui me propose de faire la route avec lui deux trois mois en Afrique. Pour moi, qui étais titillé par les idées de Césaire, c’était un retour aux sources. Pour les Antillais à l’époque, l’Afrique était loin. La déportation avait été vécue comme une coupure. En 71, on part avec mon prêt d’honneur. On est resté deux ans".

Redécouvrir le créole en Afrique

"Les conditions précaires dans lesquelles j’ai voyagé m’ont permises de sentir l’Afrique, de la toucher avec mes sens, mon cœur, ma fibre. J’ai vu pour la première la misère matérielle et physique. J’ai vu aussi la grandeur africaine dans certains rites, dans l’accueil. J’ai aussi pu réaliser aussi que nous n’étions plus tellement africains, nous les Martiniquais, nous avions déjà passé un cap, que d’une façon générale la population était aliénée dans le bon et le mauvais sens à la culture française."

"Parfois dans les transports en commun, il me semblait entendre le créole. Ça été un déclic qui m’a amené à ma langue, une langue qui a pris corps dans la rencontre des différents vocables avec au niveau lexical un fort pourcentage de terme français, mais au niveau syntaxique et grammatical une langue particulière, une langue créée pour que toutes ces personnes puissent se parler. Musicalement, j’étais déjà sensibilisé comme étudiant au chant guinéen, aux voix de la savane, mais j’étais aussi imprégné par ce que j’appelle le chant profond français (Brel, Brassens, Ferré, Ferrat, Barbara), les musiques latino-américaines (Atahualpa Yupangui), espagnoles (Paco Ibanez). J’étais attiré par les musiciens acoustiques, moi qui suis un musicien de l’intérieur, du souffle du mot."

Un fois rentré à Nanterre, Jobi Bernabé commence des études d’ethnologie. "Mais je passais plus de temps à faire du théâtre. A l’époque, on était revendicatif, militant. Je suis resté à Paris jusqu’en 78. C’est à l’invitation d'Aimé Césaire que je suis rentré en Martinique avec une troupe de théâtre. J'ai pris mes marques et suis revenu un peu plus tard comme enseignant, avant de tout laisser tomber au grand dam de ma mère et de me lancer dans la carrière artistique.".

Joby Bernabé Trente Années de Paroles Partagées. (EIA Production) 2010