Juliette chasse ses démons

Truculente et drôle comme au premier jour, Juliette poursuit sa carrière prolifique avec un nouvel opus, habilement intitulé No Parano. L’attachante gouailleuse parisienne, devenue icône de la chanson à texte, s’avance aujourd’hui libérée de l’injonction de plaire et des affres de l’autocensure. Cela donne un disque réaliste et piquant, plus léger et nonchalant que ses productions habituelles. L’intéressée s’en explique.

Huitième album studio

Truculente et drôle comme au premier jour, Juliette poursuit sa carrière prolifique avec un nouvel opus, habilement intitulé No Parano. L’attachante gouailleuse parisienne, devenue icône de la chanson à texte, s’avance aujourd’hui libérée de l’injonction de plaire et des affres de l’autocensure. Cela donne un disque réaliste et piquant, plus léger et nonchalant que ses productions habituelles. L’intéressée s’en explique.

RFI Musique : Quels sont ces "petits démons" intérieurs que vous avez vaincus sur cet album ?
Juliette : Ce sont les démons de l’écriture. Ces doutes, ces blocages à surmonter lorsqu’il faut impérativement boucler les chansons, six mois avant d’entrer en studio. C’est à ce moment précis qu’un tas de questions viennent vous hanter : vais-je avoir de l’inspiration, des idées ? Comme je n’écris jamais en tournée, la phase créative commence toujours pour moi au dernier moment, avec toute l’angoisse et l’incertitude qui vont avec.
Cette fois, le disque a été conçu dans un climat plus apaisé, et les chansons s’en ressentent. Il y a beaucoup moins de noirceur. Même une histoire très sombre comme Une chose pareille d’Adamo est teintée d’humour et d’ironie. C’est un peu le sens de "No Parano" : dédramatisons !

Pourquoi avoir choisi Vincent Segal à la réalisation de cet album ?
J’ai déjà eu l’occasion de travailler sous sa direction, lors de l’enregistrement de l’album du groupe Quai n°5. Après avoir vu ce qu’il a apporté en un après-midi de travail, j’ai décidé de l’appeler à la rescousse pour mon album. Un petit round d’observation a été nécessaire au début, la suite fut formidable. Vincent nous a poussés à enregistrer dans les conditions du live, et à répéter avant le début des sessions, ce qui était très nouveau. Son oreille très précise et neuve sur ma musique ont beaucoup compté.

Vous brocardez avec humour les travers du music business dans The Single. Vos motifs d’indignation ?
Ma chanson cible le business, pas les artistes. Il n’y a pas de raison que les jeunes chanteurs et chanteuses ne soient pas sincères. C’est le plan de carrière qui leur est proposé qui me dérange : faire un single, un clip, passer à la télé et buzzer sur Internet, ce nouveau mot très à la mode. Déployer la grosse artillerie pour des artistes qui n’ont parfois écrit qu’une chanson et qu’on oubliera l’année suivante, comme mon personnage dans The Single.

C’est un problème de fond : le monde actuel nous fait croire que pour être heureux, il faut être célèbre. Des gens sont prêts à se ridiculiser pour cela. Je suis très malheureuse quand je vois ces candidats au casting de la Nouvelle Star dont tout le monde se moque. Je ressens une sorte de honte pour eux.

Cet album contient de nombreuses reprises et adaptations : Gainsbourg, Prévert, Hugo…
Cela vient de mes autres projets annexes, en marge de la préparation de cet album. J’ai mis en musique un texte de Victor Hugo pour une pièce de théâtre, adapté le texte de Prévert pour Jean Guidoni… J’avais envie de mettre tout cela sur mon propre disque. D’autant que ces textes me touchent au plus haut point. Les Dessous Chics de Gainsbourg parlent des blessures de la féminité, avec un regard masculin désirant, très troublant. Dans ma rue de Prévert me sidère par sa cruauté : ce que l’on en déduit en quelques lignes sur l’humanité est remarquable. Et puis cela me donne l’occasion de chanter "un coup de pied au cul !" sur l’un de mes disques ! Je suis restée très môme lorsqu’il s’agit de dire des gros mots…

Le théâtre est-il toujours au centre de vos préoccupations ?
L’un de mes derniers projets a été de mettre en scène le dernier spectacle de François Morel, Le Soir, des lions…, même si cela reste de la chanson. Que ce soit dans le décor de mes spectacles, lorsque j’introduis mes chansons ou que j’improvise un dialogue avec le public, je ne m’éloigne jamais du théâtre. Je trouve l’idée fascinante que des gens se rassemblent, dans un espace clos, pour écouter des histoires, voir des drames ou des comédies humaines. Je suis absolument sûre que cette expression artistique ne disparaîtra jamais.

Après plus de 25 ans de carrière, en quoi votre rapport au métier a-t-il changé ?
On gagne, bien sûr, une certaine sûreté de soi. Moins besoin de prouver chaque jour que l’on a un avenir dans ce milieu. Certaines rencontres m’y ont aidé, notamment avec Claude Nougaro, que j’admirais étant enfant, ou plus récemment sur scène Bernard Lavilliers, l’une de mes idoles de jeunesse. Prendre conscience que ces gens-là apprécient votre travail, vous respectent, et font partie du même monde que vous, cela rend fier du chemin parcouru.

Juliette No Parano (Polydor/Universal) 2011

En tournée en France, les 5 et 6 mai à Paris (Folies Bergères), au Japon cet été (Festival Paris en Chansons)