Le trait d’union Toumast
Amachal, le deuxième album de Toumast, le duo formé par Moussa Ag Keyna et Aminatou Goumar, détonne. Très ouvert musicalement, il s’écarte de la musique ishumar, la bande-son de la rébellion touarègue, mais en garde le cœur poétique et militant.
Deuxième album, Amachal
Amachal, le deuxième album de Toumast, le duo formé par Moussa Ag Keyna et Aminatou Goumar, détonne. Très ouvert musicalement, il s’écarte de la musique ishumar, la bande-son de la rébellion touarègue, mais en garde le cœur poétique et militant.
RFI Musique : Ce deuxième album est musicalement très ouvert… vous reprenez Jimi Hendrix, vous invitez le rappeur Beat Assaillant et la voix sucrée de Jehro, pourquoi ?
Moussa Ag Keyna : Je ne vis plus sur le dos d’un dromadaire ! Je suis en France depuis 1994. Tout est parti de rencontres : le monde est petit à Paris quand on fait le même métier. Mais je n’en suis pas moins un musicien touareg. Lorsque je suis arrivé ici, je ne connaissais que les cassettes ishumar (la musique de résistance touarègue, ndr). Une amie m’a offert un album de Jimi Hendrix, puis de BB King, après j’ai découvert des tas de guitaristes : Jimmy Page, Santana, les premiers albums de Ben Harper et toujours Hendrix, que j’écoute énormément.
Vos morceaux sont très rock, vous étiez énervé en composant l’album ?
Oui, ma musique est inspirée par la situation du peuple Touareg, et j’ai composé l’album en 2008, alors que les combats avaient repris dans le désert. J’étais mal. Mes cousins et des amis combattent : ils ont des téléphones satellites et m’appelaient pour me dire ce qu’il se passait. Dans le morceau Aïr-Tombouctou, je parle directement de la situation, et je dis "notre sang coule sans que personne ne le pleure"… C’est dur.
Justement dans ce morceau, on entend un accordéon et une flûte, plus loin une bombarde ou une cornemuse écossaise…
Pour moi, la bombarde, ce n’est pas breton, c’est touareg ! Chez nous, on l’appelle taranipt, pendant la saison des pluies, certaines plantes poussent, on les coupe et on souffle dedans, le son est exactement le même que la bombarde. Cela permet aux animaux d’aller tranquillement aux pâturages. J’ai retrouvé un peu de mon enfance en Bretagne. C’est important pour moi de mettre à jour que les instruments des cultures traditionnelles se ressemblent, que nous sommes tous proches au final.
Quelle que soit la couleur musicale de vos morceaux, vos textes sont toujours reliés à la vie au campement, au peuple touareg. Vous faites toujours de la musique ishumar ?
Bien sûr ! Amachal, le titre de l’album, signifie "message". Beaucoup de jeunes musiciens touaregs composent désormais avec une basse et une batterie ou rencontrent des artistes occidentaux. Dix ans après Tinariwen, Toumast est arrivé et une nouvelle génération émerge aujourd’hui, plus mondialisée. Mais la musique est d’abord adressée aux Touaregs et à nos mères, qui ne comprenaient pas ce que nous faisions. Car chez nous, les hommes chantent et dansent, mais ne touchent pas aux instruments. Nous avons pris la guitare pour nous faire entendre, c’est toujours le même objectif : je chante la nostalgie, l’exil, la vie nomade et mon désir de changement. Il faut rester uni.
Vous vivez en France, l’album sort ici et vous tournez beaucoup en Europe. Avez-vous un message destiné au public occidental ?
Comme lors du premier album, j’insiste sur le fait que les Touaregs ont beaucoup de problèmes. Nous ne sommes pas un cliché, en bleu sur nos chameaux. Notre situation ne nous permet pas de vivre tranquillement, on lutte depuis des siècles contre les invasions, les influences pour conserver notre territoire et notre mode de vie. Mon arrière grand-père est mort au combat, mon grand-père aussi. Seul mon père y a échappé. Moi-même, j’étais entre la vie et la mort quand je suis arrivé en France, blessé par balles. J’espère réellement qu’on ne deviendra pas les Indiens d’Amérique. A chaque guerre, chaque massacre, notre population se réduit. Nous sommes environ un million aujourd’hui, mais beaucoup de Touaregs fuient la sécheresse et vont grossir les bidonvilles autour des capitales.
Au-delà de votre action musicale, quel est votre rapport au Niger aujourd'hui ?
Je suis toujours en contact direct avec le campement. Dans deux heures, je prends l’avion pour Madrid, où je vais vérifier que la pompe solaire à forage que notre coopérative a acheté d’occasion fonctionne bien. La recherche de l’eau devient de plus en plus problématique, alors cette pompe peut changer la vie du campement. Cela fait sept ans que les émigrés, les ex-combattants cotisent pour pouvoir acheter ce modèle qui fore jusqu’à 700 m de profondeur. Si tout va bien, la machine va embarquer sur un cargo, direction le port de Lomé au Togo, puis sur un camion 4x4, jusqu’à chez nous. Et puis on a fait venir des ingénieurs de Niamey pour savoir où forer, comment, etc. C’est une initiative complètement touarègue, dont nous sommes très fiers, et qui permettra de limiter l’émigration et de vivre mieux chez nous. Il faut maintenant espérer que tout se passe comme prévu !
Toumast Amachal (Green United Music / Pias) 2011
En concert le 3 Février 2011 à l'Alhambra à Paris