L, chanteuse pleine de grâce

A 30 ans, L présente un premier album émouvant, Initiale. Une romance noire orchestrée avec la complicité de Babx. Recommandée par Brigitte Fontaine et Jacques Higelin, la nouvelle signature de Tôt ou tard suscite bien des attentes. Rencontre.

Qui se cache derrière l’Initiale ?

A 30 ans, L présente un premier album émouvant, Initiale. Une romance noire orchestrée avec la complicité de Babx. Recommandée par Brigitte Fontaine et Jacques Higelin, la nouvelle signature de Tôt ou tard suscite bien des attentes. Rencontre.

Son nom d’artiste prend moins de place que le M d’un Chédid ou le H d’un Arthur, inscrit comme il est en minuscule sur la pochette de l’album. L, bouille enfantine et tâches de rousseur, s’explique : "Je m’appelle Raphaële Lannadère, c’était trop long. Raphaële, c’était impossible avec l’autre Raphael et son million d’albums vendus. J’avais envie de me distinguer de toutes ces chanteuses à prénoms. Et puis, j’aime bien le côté désincarné et énigmatique de cette unique lettre". Avec elle pour seul indice, pas facile de dégoter sur la Toile le Myspace de la chanteuse ou des infos sur elle : tapez son nom dans Google et il vous sert tous les "l’" du Web !

Il faut la rencontrer pour apprendre qu’elle sourit tout le temps et qu’elle a toujours chanté : "Je voyais ça comme un don du ciel, pas comme un moyen de gagner sa vie." Après le bac, elle se lance dans des études d’éco-gestion, vite avortées par l’ennui. Elle enchaîne sur une prépa Sciences Po, cérébralement passionnante mais elle n’ira pas plus loin : "J’ai lamentablement foiré le concours d’entrée, sans doute exprès pour faire de la musique…" Raphaële prend alors des cours de chant de plus en plus rapprochés avec Martina Catella, la mère de Babx : "C’est une ethnomusicologue géniale. Elle m’a fait chanter des liturgies juives, des polyphonies corses, des chants bulgares, africains, tziganes… J’ai tout appris avec elle". La jeune femme abandonne les études, travaille dans le fast-food de papa et maman pour gagner sa croûte et écrit ses premiers textes.

Quelques détours plus tard ("dont une mise en scène cabaret ratée pour mon premier spectacle : je me cachais derrière des gants, un fouet et un long manteau ! J’ai bien ri mais ça n’allait pas du tout avec ce que je faisais."), la voilà qui débarque enfin avec son premier album. Les assoiffés de beaux mots le guettaient avec impatience, depuis qu’ils avaient découvert sa voix à la Barbara sur Premières lettres, un six titres autoproduit en 2008.

Comme une poésie courte

Le temps leur a semblé long mais à elle, non : "Trois ans pour arriver à une forme aboutie, pour chercher un son, écrire et choisir les bonnes chansons, ça me paraît même peu, c’est un tel boulot !" L s’y est d’abord attelée seule, travaillant ses textes à la lettre près, pour les faire rimer et ricocher comme cette poésie courte qu’elle adore, celle de Georges Bataille et d’Alain Bashung, de Henri Michaux et de Brigitte Fontaine : "Une chanson doit avoir une structure assez ramassée si on veut qu’elle fonctionne".

Pour savoir si les siennes fonctionnent bien, elle fait des maquettes, qu'elle partage avec les copains : Babx et sa bande, musiciens et amis de longue date. Verdict ? Oui, il est temps d'enregistrer un vrai long album. La clique s'enferme trois semaines au studio Pigalle, avec Babx comme chef d'orchestre incontesté : "Il a un sens rare de l'harmonie et de la mise en scène. On a vécu des moments fantastiques : on pleurait sur les valses, on rigolait sur les titres plus enlevés comme Jalouse ou Pareil. C'était très dense, très étonnant, j'ai adoré." Les chansons de L en ressortent ambiancées comme la BO d’un film noir, nappé d’un coulis sucré.

Le collage des styles (valses dépouillées au piano, boucles électro, son étouffé à la Billie Holiday, ponts rock, tissages de cordes sublimes…) s’accorde habilement aux histoires que nous raconte L. Elle nous immerge dans ses doutes et ses désirs, ses jeux amoureux et surtout dans son Paris. Celui de Château Rouge en particulier, où elle a vécu ses premières années d'indépendance : "L'ambiance de ce quartier m'a bouleversée. Avec ses mecs défoncés au crack, ses putes, ses coiffeuses africaines, ses boubous colorés, ses gars qui parlent dans leur langue avec des bouts de français et plein de mots rigolos, ses sans-papiers que les flics arrêtent toute la journée..." Elle en a tiré Petite, troublant récit d'un amour entre une prostituée sans-papiers et son client. "Une vraie histoire me l'a inspiré mais je l'ai ensuite scénarisé, en y ajoutant des éléments inventés."

Faire s’embrasser le réel et la fiction, la chanson et l’électro-rock, l’épure et le foisonnant, tel semble être le pari musical de L. "Passer des jours à régler un ampli, à positionner le micro en face de la grosse caisse ou à réécrire un texte pour que la langue prenne et raconte une époque, comme toutes les musiques traditionnelles, c’est fondamental pour moi. En studio ou sur scène, je veux tout mettre en œuvre pour convoquer la grâce."

L Initiale (Tôt ou tard) 2011
En concert le 9 mai 2011 au Sentier des halles, à Paris.