Hildebrandt, danse mélancolique

Hildebrandt. © Yann Orhan

Sa prestation au festival de Tadoussac au Québec en juin dernier nous avait tant enchantés qu'on guettait avec impatience son premier album sous son nom. Et le résultat est totalement à la hauteur de l'attente. Celui qui a longtemps sévi au sein du groupe Coup d'Marron livre un disque pop remarquablement écrit, dansant et mélancolique, Les Animals.

Le premier morceau s'appelle J'ai plein de pas, et c'est bien plus qu'une danse qu'on aimerait partager avec la pop en VF d'Hildebrandt tant elle colle la peau, moite de préférence. Dès cette entrée en matière, il y a cette science fatale du rythme new-wave qui kidnappe illico. Clin d’œil évident et assumé à son pote Lescop. "C'était tellement flagrant que je lui ai demandé si cela ne le gênait pas trop. Il m'a répondu que la chanson était très réussie. J'ai donc pris ça comme un bel encouragement".

Pour en terminer avec les mises au point introductives, il y a ce titre d'album (Les Animals) similaire à celui de Mano Solo sorti en 2004, agrémenté d'une faute d'orthographe consciente. Il y a surtout l'affirmation éclatante d'un jeune quadragénaire aux assises hybrides. Et sur scène, l'intérêt est décuplé puisqu'il manœuvre sa barque avec un réel aplomb.

Après Coup d'Marron

Durant plus d'une décennie, Hildebrandt a enchaîné plusieurs chapitres discographiques – quatre au total – avec son groupe Coup d'Marron. Touche reset enclenchée. Aucun des membres n'est  débarqué. L'aventure se poursuit sous le patronyme de son leader, déjà auteur-compositeur au sein du collectif. C'est le début d'une nouvelle ligne artistique et musicale.

Le passage à l'acte se fait naturellement. Pas d'accouchement précipité, le Rochelais a pris son temps. "Je suis dans la construction lente et j'y tiens. J'aime que les choses soient sûres". Libéré, à l'aise dans son rôle d'homme-orchestre, Hildebrandt refuse de se laisser enfermer par les codes classiques de la chanson française. Il rêve depuis longtemps de pop. Il s'engouffre donc dans ce sillon, enfonce le clou sans délaisser l'exigence textuelle.

Afin de l'épauler, il s'adjoint les services de Dominique Ledudal, qui lui-même fait appel à Lucas Thiéfaine. La doublette intergénérationnelle avait auparavant fait ses preuves sur l'album Stratégie de l'inespoir d'Hubert-Félix Thiéfaine. "En entendant mes chansons, Dominique s'est dit que Lucas avait quelque chose à effectuer dessus. Ce dernier n'a peur de rien et il fallait cette fougue-là ainsi que cet amour pour l'intensité. On a fait un disque plus puissant que ce que j'avais imaginé".

Conjuguer les contraires

À mi-parcours, une chanson plaquée or (C'est jamais loin), de celle qui happe à la première écoute et dans laquelle la guitare de l'invité de luxe Yan Péchin (Bashung, Miossec, Brigitte Fontaine) esquisse des espaces flottants aux contours infinis. Chanson intime donc, poignante, sans adresse fixe et qui cheville les racines allemandes du chanteur à celles, espagnoles, de sa femme ("On se mélange juste un peu/Mais pourtant/On n'a jamais su bien dire/D'où le vient").

Ce disque incarne la légèreté de la production, des programmations et des instruments à une trame de discours plus sombres, plus cinglants : déresponsabilisation de l'humain devant l'omniprésence des écrans (Les ondes), parole impudiquement décomplexée sur tous les sujets (Vos gueules), société individualiste et à la mémoire courte (À quoi tu France).

Hildebrandt en appelle aussi à la tendresse,  à l'image de cette victoire d'un couple sur le temps qui passe (Déjà) ou de cette bal(l)ade imaginée sur la tombe de Georges Brassens en compagnie de sa fille (L'essentiel à t'apprendre). "J'étais en train d'écouter Supplique pour être enterré à la plage de Sète et j'ai été touché par toutes les richesses de cet homme. Il y avait chez lui de l'humilité, de la poésie, de l'humanisme, de l'ironie. Ces valeurs essentielles, j'ai envie de les transmettre à ma fille".

Voix franche et assurée, Hildebrandt a décidé de conjuguer les contraires. Dans le mille. Euphorie et mélancolie forment un très joli couple.

Hildebrandt Les Animals (AT(h)OME) 2016

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