Ray Lema, Laurent de Wilde et 176 touches de piano
Ray Lema est né 1946 en pays Kongo, dans l’Ouest de l’actuelle R.D.C. Laurent de Wilde a vu le jour à Washington aux États-Unis en 1960. Le résumé de leurs vies et de leurs carrières respectives pourrait défiler sur votre écran à la façon du générique d’Amicalement Votre, avant de les retrouver tous les deux pour une discussion initiatique autour de Riddles, leur album à quatre mains, en bac depuis peu.
"On s’est rencontré la première fois au Studio Davout il y a 25 ans lors d’une captation pour France 3" se souvient Laurent de Wilde. Ray Lema acquiesce. "Il s’est passé quelque chose. Je ne sais pas exactement quoi" lâche-t-il en prenant son temps comme s'il laissait remonter les souvenirs.
"Après coup, maintenant qu’on a enregistré cet album ensemble, je crois que c’est sa capacité à garder un côté mélodique évident pour moi alors qu’il est un vrai jazzman qui m’a rassurée, moi qui n’ai pas d’entrainement dans le jazz" ajoute celui qui a découvert les univers de Miles et de Coltrane, alors qu’il était encore au Congo, et a connu un vrai intérêt pour ces musiques lors des ses années américaines, entre 79 et 82.
"J’en écoute depuis longtemps, mais sans une mélodie à laquelle m’accrocher, je suis perdu. Dans un certain jazz, tu peux entendre des bribes de mélodies, des menaces de mélodies, mais ce ne sont que des menaces". "Et nous ne céderons pas aux menaces" lâche à la volée dans un généreux éclat de rire, Laurent de Wilde.
Danser ensemble sans nous marcher sur les pieds…
"En fait, c’est comme il y a 25 ans" reprend le plus jeune des deux, "chacun avait mis une gommette sur la tête de l’autre. On s’est croisé de temps à autre. On savait qu’un jour on ferait quelque chose ensemble, mais on n’a rien brusqué. Ça s’est fait naturellement. Je devais enregistrer un album. J’ai pensé à Ray. Ça s’est imposé à moi. Je l’ai appelé et il a dit : 'oui avec plaisir', aussi simplement que ça."
Ray valide du regard et laisse Laurent raconter : "Au départ du projet, j’avais peut-être une idée plus précise parce que c’est moi qui suis venu le chercher. J’avais l’idée de comment ça allait sonner, pas dans les moindres détails, mais j’étais confiant quant aux directions que notre collaboration pourraient prendre. Comme je produisais l’album, j’ai pris en charge des séances de 4h dans un studio à Meudon avec deux pianos à queue, un Stenway pour Ray et un Fazioli pour moi. Au bout des deux premières heures, nous n’avions toujours pas joué une note, juste discuté et j’étais un peu inquiet. Mais en fait, nos répétitions se sont toujours déroulées ainsi. Deux heures de discussions et deux heures de 'jouage'. Ce qu’on se disait autour de la musique de manière très large, mais aussi du répertoire que l’on créait, se retrouvait directement après infusés dans la musique. Ray était un peu sceptique pour toutes les raisons qu’il a évoquées. Ces séances nous ont accordés si je peux dire, permis de savoir que nous voulions danser ensemble sans nous marcher sur les pieds."
Belle image pour ces deux pianistes séparés/rapprochés par leur instrument, le plus imposant de tous. "La confiance s’est installée" reprend Ray Lema. "J’ai croisé beaucoup de musiciens et je sais que ce n’est que lorsque tu n’es plus méfiant de l’autre, que tu sais qu’il ne t’amènera pas dans un accident, et qu’il y va même de mon intérêt, que le vrai travail peut réellement démarrer. C’est ce qui s’est passé, peut-être aussi parce que nous avons des tempéraments d’étudiants. On ne se sent pas diminué par la remarque. (…) On a partagé nos sciences pour que ça devienne naturel."
"Le son du piano prend toute la pièce"
Ce naturel, ils le doivent aussi en partie à Dominique Poutet, le troisième mousquetaire de ce duo de pianistes, l’homme aux commandes de l’enregistrement et du mastering de cet album. Lui, qui a eu tout le loisir d’observer ces deux pianistes, se souvient : "Il y avait une belle qualité d’écoute. Ray et Laurent ont des jeux très différents. Laurent avec qui j’ai déjà beaucoup travaillé a été fidèle à lui même : dans le doute et dans la recherche. Quant à Ray : il plante les clous. Chacun a trouvé sa place…" confie Dume, comme on le surnomme.
"Ce n’est pas rien que de réunir deux pianos à queue dans un studio. Le son du piano prend toute la pièce. Alors, deux…" explique le réalisateur. "On ne voulait surtout pas que Ray soit à droite et Laurent à gauche dans la stéréo ou l’inverse… ni que les deux mains droites soient d’un côté et les deux mains gauches de l’autre. Nous avons préféré équilibrer trois sources, trois couples de micros : un sur chaque piano et un pour la pièce comme si l’auditeur était au-dessus des deux pianos."
Le rendu est si parfait que ce n’est que par leur jeu, que par leur façon de jouer qu’on peut arriver à les identifier. Comme embarqué dans l’aventure de ces deux musiciens qui se regardent et surtout s’écoutent, on se laisse porter par le dialogue avare en bavardage de cet album qui aurait du s’appeler Too many keys, un titre emprunté à la plus percussive et la plus boisée des plages de cet album. Un titre qui évoque autant le grand nombre de touches réunies, que les codes, les clés qu’ils ont su tordre pour inventer leurs propres énigmes ("riddles" en français).
Ray Lema & Laurent de Wilde Riddles (Gazebo/One Drop/L’Autre Distribution) 2017
Site officiel de Ray Lema
Site officiel de Laurent de Wilde
Page Facebook de Ray Lema et Laurent de Wilde