Cap-Vert, à l'époque des synthés hypnotiques

Sur un marché du disque où se multiplient depuis près d'une décennie les projets menés avec plus ou moins de pertinence par les diggers, archéologues musicaux à la recherche de vinyles oubliés ou méconnus, ceux de la trempe de Synthesize The Soul sont rares. A priori séduisante par le thème qu'elle s'est choisi d'aborder, à savoir la musique cap-verdienne de la période 1973-1988, la compilation va au-delà de ce que l'on en attend : enthousiasmante sur le plan musical, tant pour la sélection qui est faite que pour sa qualité audio (le point faible de nombreux disques du même genre), elle se distingue aussi par le livret d'une vingtaine de pages qui l'accompagne et qui donne du sens à la démarche : quelle peut être l'influence d'une communauté émigrée sur la culture de son pays natal ?

Près des deux tiers de la population du Cap-Vert résident loin de ces îles volcaniques situées au large des côtes sénégalaises, ancienne colonie portugaise indépendante depuis 1975. Jusqu'à ce que Cesaria Evora lui donne une visibilité internationale, l'archipel était surtout connu des marins. C'est par la mer que sont partis les enfants du pays, souvent vers des villes portuaires européennes ou américaines, à l'image de cet imposant navire marchand que l'on voit quitter le port sur la pochette de l'album Problemas D'Bida d'Abel Lima, dont est issu Farmacia.

Les dix-huit titres rassemblés sur le CD sont les œuvres d'artistes basés en Suède, aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Italie, mais aussi en France et au Portugal, dockers ou employés de chantier le jour, chanteurs la nuit – comme ce fut le cas des ouvriers algériens venus en France dans les années 70. Leur objectif était de faire danser leurs compatriotes eux aussi expatriés, mais aussi de plaire au public local. "En grande partie détachée du capitalisme mondial, la musique était peut-être– et à bien des égards est toujours – la passerelle la plus efficace du Cap-Vert pour s'intégrer au monde", lit-on dans les notes.

Instrument de l'époque, synonyme de modernité pour un peuple qui aspirait aussi à regarder désormais devant, le synthétiseur a pris le pouvoir et transformé batuque, funana, coladeira et autres musiques traditionnelles de l'archipel. L'ombre d'un personnage clé plane au-dessus de Synthesize The Soul, bien que son nom ne figure pas sur le tracklisting : Paulino Vieira. Arrangeur, compositeur, musicien, l'homme a participé à plus de 160 disques, et contribué au succès de Cesaria Evora au début des années 90.

Space Echo, une autre compilation remarquable sortie l'an dernier et se focalisant sur le même sujet musical, avait déjà mis en évidence son rôle prépondérant, en jouant la carte humoristique : "Le mystère du son cosmique de Cap-Vert enfin révélé", annonçait le sous-titre du CD, avant de raconter l'histoire fantastique d'un bateau chargé de claviers qui aurait disparu de l'Atlantique et aurait été retrouvé un beau matin au milieu des terres de l'île de Sao Nicolau...

Avec intelligence, Synthesize The Soul et Space Echo se complètent, convergent, vont aux mêmes sources sans se copier, par exemple en piochant des titres différents de l'album Sintado Na Pracinha d'Americo Brito, installé à Rotterdam. D'autres artistes sont présents sur les deux projets : Tchiss Lopes, Pedrinho, José Casimiro et bien sûr Bana, membre éminent du groupe Voz de Cabo Verde.

Les influences de l'époque ressortent, faciles à identifier : tantôt disco, tantôt afro-funky, avec les cuivres adéquats. Et au détour d'un titre, comme Djal Bal Si Camin d'Antonio dos Santos, la proximité avec les Caraïbes que l'on avait sentie ailleurs à plusieurs reprises devient tout à coup évidente. D'ailleurs, les îles du Cap-Vert ne raffolent-elles pas du zouk ? Au sein du monde créole, les cuisines se font souvent avec des épices similaires, même si les ingrédients diffèrent.

Compilation Synthesize The Soul (Ostinato records) 2017
BandCamp de la compilation Synthesize the Soul
Compilation Space Echo (Analog Africa) 2016
BandCamp de la Compilation Space Echo