Albin de la Simone, vertiges mélancoliques
Son précédent disque, Un homme, l'avait propulsé il y a quatre ans, en première division. Albin de la Simone garde sa place tout en haut du classement avec L'un de nous, un disque mélancolique, intime, délicat et dans lequel la longévité du couple occupe une place prédominante. Rencontre.
RFI Musique : Chez vous, la musique est au service des textes. N'est-ce pas curieux pour quelqu'un qui s'est d'abord construit comme musicien et arrangeur ?
Albin de la Simone : Je fais confiance au musicien que je suis pour pouvoir réagir à mes textes. Par contre, si je pars de la musique, l'auteur que je suis est beaucoup plus fragile et je ne suis pas du tout certain d'arriver à écrire quelque chose de qualité. Je galère tellement dans les textes que je préfère d'abord valider ceux-ci et les laisser me guider musicalement. Comme j'essaie d'écrire des mélodies avec des mots aussi, le texte a lui-même son rythme et sa mélodie qui viennent plus facilement. Une fois que j'ai mes chansons, mon plaisir ensuite est de réfléchir à la production et donc d'aller me prendre la tête sur le bon piano par exemple.
Les doutes qui vous ont longtemps poursuivi concernant votre voix, c'est réglé ?
Récemment, je suis allé enregistrer une chanson chez un copain pour un projet pour enfants. Je me rendais compte que j'étais très à l'aise et que je faisais des propositions différentes. Je pense que la scène et l'acoustique ont été un élément déclencheur. En définissant bien mon environnement sonore, humain et technique, j'ai trouvé ma place. Cela se fait avec le temps, l'expérience. Il ne faut pas oublier que j'ai 46 ans, mais je n'ai commencé à être chanteur qu'à 30.
Votre disque précédent Un homme, encensé par la critique, vous a-t-il décomplexé ?
Tout a commencé là. Ce disque était déjà le fruit d'une certaine démarche. Ce sont des choses que j'ai amorcées avant Un homme, pendant les deux, trois ans où j'étais au 104. J'ai exploré et fait des concerts dans toutes les salles du lieu, en acoustique, avec ou sans micro, avec ou sans des musiciens. Cela m'a vraiment permis de découvrir les choses qui m'allaient ou non, de balancer certains bagages aussi. Avant, je faisais un peu le malin dans mes chansons et cela m'encombrait. Je n'avais plus envie de tout mélanger et je voulais que ce soit si possible plus intelligent que malin, plus beau que chouette.
Et mélancolique à souhait ?
D'habitude, je me bride vachement là-dessus. Ici, je me suis laissé aller. Mélancolie ou en tout cas gravité, c'est certain. Mais toujours en espérant, par contre, que cela ne fasse pas mal. Je n'ai pas envie d'être ni agressif, ni glauque, ni tourmenté. Si c'est une mélancolie, autant qu'elle soit douce et agréable.
Votre écriture est plus que jamais "souchonienne", ne trouvez-vous pas ?
Il y a deux paramètres que j'adore et qui sont très importants chez Alain Souchon. Le premier, c'est sa posture de chanteur qui n'est pas super-héros. Le second, c'est qu'il est plus fort et plus poétique que les autres pour s'exprimer. Il ne cherche pas du tout à jouer au bras de fer. Je me reconnais en lui dans ma volonté à être fort dans mon expression et à ne pas vouloir jouer les gros bras. J'ai un livre avec des textes de Souchon et je ne me lasse pas d'y replonger régulièrement.
Le grand amour, une chanson cinématographique ?
Je n'ai eu aucune vision spécifique pour cette chanson. Je me souviens juste comment je l'ai composée, que j'ai plusieurs versions de ce morceau et que j'ai pu rapidement l'essayer sur scène. Par l'intermédiaire de Bastien Lallemant, un ami chanteur, je participe à des siestes acoustiques dans lesquelles on joue des chansons sans micro devant des gens qui roupillent à moitié. C'est un laboratoire formidable. Donc j'amène mes chansons pour les développer. Celle-ci fait partie des plus anciennes.
Si on se réfère à votre répertoire, l'amour enfui n'est-il pas votre grande angoisse ?
Ce qui est surtout obsessionnel chez moi, c'est comment évoquer la manière de faire durer l'amour sachant que celui-ci s'enfuit facilement. Quand on a 45 ans, l'amour-passion, l'amour incandescent, c'est du passé. Le plus difficile dans une histoire, c'est de savoir ou de pouvoir jouer les prolongations. Ce disque, c'est L'amour saison 2 (rires).
"Tu dis l'empire la réussite, le succès le mérite (…) c'est dans la tête tout ça, c'est dans la tête", écrivez-vous dans la chanson Dans la tête. Et vous, estimez-vous avoir le succès que vous méritez ?
À mon échelle, je jouis de mon succès. Mais je sais que plus de succès, c'est aussi plus de jouissance et d'une certaine manière plus de problèmes. Je ne suis pas dupe sur les vertus du succès à titre individuel. C'est à chaque fois complexe. Il n'en reste pas moins que je reste persuadé que le succès, aussi agréable soit-il, ne règle rien.
Pourquoi la voix de Vanessa Paradis à la fin de la chanson Ado ?
J'étais chez moi et j'avais cet instrumental à la fin de cette chanson. Je me suis souvenu que dans le titre Adrienne, un duo avec Vanessa dans mon album Bungalow, à un moment elle dit "Viens". Je trouvais ça tellement touchant et fort sa manière de le dire que je lui ai envoyé un mot à Los Angeles. Je lui ai demandé si elle pouvait éventuellement me laisser un message sur mon répondeur en me disant avec insistance et grande amitié de venir. Au départ, c'était un jeu. Mais elle et moi avons adoré le résultat et du coup, je l'ai mis à la fin de la chanson. C'était quelque chose d'assez spontané.
Est-ce que ce titre est autobiographique ?
L'ado qui reste en perfecto et en rangers sur la plage alors que tout le monde va se baigner, c'était moi. J'avais envie de parler de ça avec tendresse plutôt qu'avec moquerie. C'était une période très douloureuse.
Difficile de vous imaginer insupportable et rebelle. Auriez-vous pu vraiment déraper à cette époque ?
J'ai eu la chance d'être issu d'un milieu très équilibré. Je suis allé à Saint-Luc, une école à Tournai qui m'a fait un bien fou. Comme j'avais redoublé ma seconde, c'est là que cela aurait pu être dangereux. Cette école et l'enseignement belge m'ont rattrapé tout en douceur. Son environnement m'a sauvé d'une adolescence et d'une intériorité très explosive.
Albin de la Simone L'un de nous (Tôt ou tard) 2017
Site officiel d'Albin de Simone
Page Facebook d'Albin de la Simone