Danyèl Waro, l’engagé poétique

Danyel Waro. © Thierry Hoarau

Sept ans après son double-album Aou amwin, le héraut réunionnais Danyèl Waro revient avec monmon, un disque riche, lumineux, aux courbes intimes et spirituelles. En pleine campagne pour l'élection présidentielle française, il nous reçoit chez lui, à Saint-Paul, à La Réunion, pour parcourir en profondeur ses engagements politiques, poétiques, linguistiques. Rencontre.

Nous sommes le 18 avril. Dans la fraîcheur des hauts de Saint-Paul, à Bwarouz, sur l’île de La Réunion, Danyèl Waro nous accueille dans sa case aux couleurs joyeuses, à la végétation déchaînée, un havre de paix où babillent les oiseaux. Plane ce jour-là, une grande quiétude à 1000 lieues des contingences politiques qui agitent la France, à J-5 du premier tour des élections présidentielles.

Comme nombre de ses compatriotes, le maître de céans n’a pas encore arrêté le choix de son candidat. En créole, il poursuit : "J’ai grandi au sein du Parti communiste, à une époque où notre parole, notre langue de 'sans droit', étouffée, n’était pas entendue. Nous buvions alors comme du petit lait, les paroles de Paul Vergès1. Et puis, au gré des années, j’ai avalé tout un tas de couleuvres stratégiques, tactiques. Aujourd’hui, je ne crois plus ni au grand soir ni au manichéisme. J’ai arrêté de rêver, politiquement parlant. Peut-être suis-je devenu trop modéré, trop mou, trop miel ? Assagi, calmé, moins enclin à l’engagement collectif, je n’adopte plus de propositions violentes ni radicales. Et finalement, je poursuis ce que je sais le mieux faire : mettre des mots bout à bout".

Le temps d’Adékalom l’une de ses chansons phares (1994), symbole de la résistance réunionnaise contre des décisions prises depuis Paris, reflet des luttes de la fin des années 1970, paraît loin… Et pourtant. L’engagement initial de Danyèl demeure là, au cœur de sa démarche, car, le confesse-t-il : "Ma bataille, artistique davantage que politique, était dès l’origine en faveur du maloya, de la musique, des défavorisés, de notre langue."

La défense de ce créole, aujourd’hui encore, pave le chemin du militant, abreuve son combat quotidien, avec pour origine une blessure viscérale : "Il nous fallait nous réapproprier cette langue bafouée, interdite à l’école, sur les ondes, à la télévision, sous prétexte de nous inculquer, via un centralisme forcené, la 'langue de la réussite', le français : quelle violence insidieuse exercée contre notre identité ! Comment, dès lors, nous construire ?"

Le "maloya Danyèl"

Avec une poignée d’autres artistes – Ziskakan, Alain Péters – Danyel, chantre du métissage, redonne dans les années 1980, sur les ondes, en chanson, ses lettres de noblesse au créole. Celui qu’il tresse, mot à mot, en un travail d’artisan, tel un facteur d’instruments, ne ressemble à nul autre. Sa poésie gourmande, énigmatique y compris pour de nombreux Créoles, puise ses inspirations dans les devinettes des "gramouns"2, dans les métaphores péi, ces fantaisies nourries de la terre, ces jeux de mots ancestraux, ces "trouvailles pour les yeux", ramassés en une poignée de mots.

Dans le même temps, son créole regarde loin devant, visionnaire : l’invention d’une langue personnelle. "Je fais du 'maloya Danyèl', dit-il. Je propose un modèle, une écriture non prémâchée, qui nécessite peut-être plusieurs écoutes, plusieurs lectures. J’espère que l’on redécouvre mes textes à chaque écoute. Dans le même temps, je glisse dans le livret de mon disque un petit lexique et traduis mes textes en français, pour les zoreilles3… un peu aussi pour nous autres", sourit-il.

Sa langue ne saurait, par ailleurs, se contenter du seul sens. En gourmand, il goûte la rythmique des mots, leurs couleurs, leurs saveurs, leurs chocs physiques, qu’il prolonge de son kayamb, de sa danse de chamane, de son engagement, corps et âmes, sur la scène : un acte physique, une émotion forte.

Monmon

Alors, bien sûr, son art sans concession nécessite du temps : celui d’une gestation, sans contrainte ni urgence. Sept ans après Aou amwin, il sort enfin monmon, son septième disque studio. Avec ses arrangements harmoniques virtuoses, aériens, ses mélodies ciselées qui contrebalancent le côté "brut" du maloya, ce disque sillonne des chemins intimes.

Son titre l’indique : "Je voulais rendre un hommage à la monmon, la maman, sans majuscule, responsable devant l’éternité, toujours obligée de s’occuper de son marmay, même au temps de l’esclavage. Une maman que, trop ingrats, nous célébrons souvent post mortem."

Sa maman, à lui, aujourd’hui "dans le ciel, dans la terre, dans (son) cœur", "une madame qui annonçait la couleur, dans son rapport au monde. Qui supportait sans vaciller le rhum de mon papa, ses errements..." Dans ce disque aux couleurs familiales, chante aussi, avec une douceur précieuse, sa femme Florans (Karinm). Et puis Danyèl y honore Mme Baba, femme de Gramoun Baba, figure illustre du maloya, une "maman", qui recevait dans sa kour, des servis kabaré, ces cérémonies en hommage aux ancêtres, lors de nuits blanches incendiées : "Ici, on redécouvrait une part de nous-même".

Sur ce disque, les chansons datent de différentes époques, de 1986 à 2016 : s’y croisent une reprise de Brassens (La Mauvaise Réputation), une chanson écrite pour A Filetta (Fanzan)… Sur des rythmiques aux influences indiennes, sur des mélodies joliment ciselées, Waro y chante, piste à piste, la Réunion, sa terre mère nourricière, ses religions mêlées (malbar, catholique) ses épices, sa cuisine (Dori), sa vie quotidienne, les histoires qui façonnent ses habitants…

Plus encore que sur ses autres albums, son art, ici, se fait spirituel, métaphysique : "Je m’occupe désormais d’affaires qui durent plus longtemps que les conflits politiques immédiats. Comme un planteur, je sème des graines pour demain, j’installe mes chansons dans un écosystème, dans le durable. C’est peut-être ici, que réside le sacré."

Comme chacun de ses disques, et peut-être encore davantage, celui-ci nous ramène sans polémique, à des dimensions essentielles : celle d’un brin d’herbe, celle d’un oiseau, celle d’une lumière, celle d’une poésie cosmique, à portée de voix.

1homme politique réunionnais, grande figure du communisme
2Les vieux, les anciens
3les métropolitains

Danyèl Waro monmon (Cobalt/Buda musique/Socadisc) 2017

Page Facebook de Danyèl Waro