Bernhari, romantique écorché
La pop vaporeuse et mélancolique du Québécois Bernhari monte très haut en altitude et en extase. Signé cet été par Arista, un des labels de Sony France, Bernhari publiera à l'automne un EP qui puisera dans ses deux excellents albums déjà sortis du côté de la Belle-Province.
Cela fait quelques mois qu'on le suit de près : une prestation lors du dernier Coup de cœur francophone à Montréal, un show case au Divan du monde à Paris et un concert au festival de Tadoussac. À chaque fois, un emballement décuplé à son égard. Même emphase scintillante, même intimité tumultueuse. Et la sensation tenace que ce garçon-là n'est pas de la race des tièdes.
Alexandre Leclerc-Bernier a d'abord joué en collectif au sein de L'étranger et L'ours, deux groupes de la scène underground montréalaise. La schizophrénie du désir des uns et des autres fait voler les deux projets en éclats. Il poursuit en solo, s'entoure d'autres forces vives. Au moment de se retrancher derrière Bernhari - pseudo qui exhorte les racines germaniques de la seconde partie de son nom - il détruit la moindre trace artistique sur la toile. "J'avais besoin de tout effacer pour recommencer. Ce n'est pas que je n'assumais pas. J'avais fait des dessins dont j'étais moyennement satisfait, j'ai préféré en déchirer les pages. Parfois, je regrette qu'on ne puisse plus rien trouver".
Au cours de ses premières interviews, Bernhari a un peu menti. De fausses révélations sur sa ville natale, la romance gonflée de sa rencontre avec Kryuchkova, héroïne d'un des morceaux de son premier album éponyme. Le secret et le mystère, deux facettes du costume d'apparat qu'il endosse. Lequel ? Celui du romantique fiévreux, intense et torturé. Personnage complexe et attachant. Comme lui. "Laisse-moi être ce quelqu'un d'autre", implore-t-il dans l'épique et vibrant Au nord de Maria. "Avec le recul, je me dis que cette phrase est le point de départ du projet Bernhari".
Depuis la sortie de son deuxième disque Île Jésus, ce jeune trentenaire lâche davantage de lest. On sait qu'il réside à Laval, banlieue montréalaise, qu'il a une fascination pour la littérature et le cinéma russe, qu'il vénère ses compatriotes de Godspeed You Black Emperor, qu'il est tombé à la renverse quand il a entendu La solitude de Barbara, que Feu Chatterton ! constitue sa boussole parisienne ("On a écumé pas mal de bars ensemble").
On sait aussi que, chez lui, la mélancolie se révèle une compagne vampirisante. "C'est malheureusement quelque chose qui m'accompagne tous les jours et qui n'est pas facile à gérer. Cela me permet, bien sûr, d'avoir l'élan nécessaire pour ce que je fais, mais en même temps, ce n'est pas toujours agréable. Aussi bien sur scène que dans la vie, j'essaye de plus en plus développer mon sens de l'humour. Je pars de loin, j'ai du boulot à ce niveau. Au fond, je suis un mec tragique".
Si son premier essai a pris son impulsion à la suite des manifestations étudiantes du Printemps d'érable, le second dévoile les cicatrices et les questionnements d'un homme blessé en proie au désamour. Les claviers aériens et la basse, sexy en diable, affrontent des crescendos addictifs. Il y a du Polnareff dans la voix haut-perchée, du Christophe dans les textures sonores, du Saez dans la palpitation de l'âme tourmentée. Il y a surtout un artiste trop indépendant d'esprit pour se faire happer par la normalité.
Bernhari Île Jésus (Audiogram) 2016
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