Les fleurs poétiques de Lo’Jo
Depuis plus de trente ans, Lo’Jo parcourt le monde entier avec ses chansons. Le groupe amené par Denis Péan, publie un quinzième album planant, Fonétiq Flowers, où l’on retrouve son goût pour la musique arabe et toute sa fantaisie linguistique. Les Angevins continuent leur bonhomme de chemin et c’est, disons-le, très bien ainsi.
La veille, Lo’Jo fêtait les vingt ans du Cabaret Sauvage et, en ce début de matinée, Denis Péan se réveille tranquillement. Au fil des questions, le chanteur sort de sa brume ; la voix est presque susurrée. "Je savais qu’on avait l’interview, je n’arrivais pas à trouver le sommeil", confiera-t-il au cours de l’entretien. Les soirs de concert invitent rarement à se coucher de bonne heure, même s’il faut reprendre la route au petit matin. Entrecoupée par un retour à Paris prévu pour le 17 novembre, au Café de la danse, la tournée d’automne du groupe fera halte à au centre des États-Unis, en Angleterre, et parcourra la France.
Ceci est la norme pour un groupe qui a fait depuis plus de trente ans, du voyage une marque de fabrique. Pour Fonétiq Flowers, Lo’Jo a enregistré avec son studio mobile à Tbilissi, en Géorgie, au Togo, au Bénin, en Chine, dans sa maison communautaire des environs d’Angers et peaufiné le tout au studio Ferber, avec le producteur Jean Lamoot (Noir Désir, Alain Bashung, Rivière Noire). À chaque étape, il s’agit de nouvelles histoires qui enrichissent son patchwork. Une chanson chez Lo’Jo ? "Chacun amène la sienne, explique Denis Péan. Pour moi qui compose au piano, ce n’est pas une symphonie dans un premier temps. C’est un schéma harmonique, une suite d’accords. L’ADN d’une chanson peut être réduit à deux mesures, pas plus."
Retour sur l’histoire coloniale
Ce qui court tout au long de Fonétiq Flowers, ce sont des atmosphères aériennes, des nappes de sons qui doivent beaucoup à l’absence de guitares. Cela commence avec la chanson titre et son faux reggae, un rythme obtenu à partir du programme "disco" d’un vieux clavier Yamaha, d’un enregistrement de moteur de bateau "détuné", et plus classiquement une grosse caisse de batterie. À ce groove rajouté au dernier moment répondent les voix des sœurs Yamina et Nadia El Mourid. Tout au long du disque, les chanteuses de Lo’Jo évoquent les choristes de la soul et de la musique jamaïcaine. Si le timbre de Denis Péan a parfois des échos de Claude Nougaro, le jazz est largement teinté de musiques arabes, et tant pis pour la java...
Promenade imagée dans Paris, Tu Neiges sonne comme une évocation de la ville après les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan. "J’y ai pensé, mais cette chanson n’est pas fondée comme ça, nuance le chanteur. Il s’agit d’une balade amoureuse. C’est le Paris enchanteur qu’on connaît et puis mon regard achoppe sur l’histoire coloniale que raconte cette ville. Je suis très attaché à l’Algérie. Quand je dis : 'On a jeté dans la Seine les enfants de Sétif', cela fait référence au 17 octobre 19611. Mais Sétif, c’est aussi ce qui a déclenché le désir d’indépendance. Le 8 mai 1945, à la Libération, les Algériens défilent dans la ville de Sétif. D’aucuns brandissent des drapeaux algériens, et les représailles de l’armée française commencent, suivies par la persécution des 'indigènes'."
Des "escrobaties des souks" en passant par le oud de J’allais, le Maghreb est sans aucun doute un fil rouge pour ces musiciens qui l’ont beaucoup parcouru ou qui y ont simplement des origines. Ce n’est pas le rock beur d’un Rachid Taha qu’on retrouve ici, mais plutôt une flânerie qui passerait aussi bien par les bistrots parisiens – on situerait volontiers le Café des immortels sur les pentes de Ménilmontant- que par les villes blanches d’Afrique du Nord. Le cœur de Lo’Jo bat dans cet exil et même quand il invite le trompettiste suisse Erik Truffaz, c’est dans cette tonalité arabisante qu’on le retrouve. La surprise vient d’un Noisy Flower porté par le rap d’un autre Helvète, le chanteur de Puts Marie, Max Usata, ou du klezmer de Chabalaï.
Une langue inventée
Et la cohérence dans tout ça ? "J’avais un grand poème et puis je l’ai cassé sur douze radeaux de musique, constate Denis Péan. Et puis, il y a une partie qui s’est accrochée sur l’un, une partie qui s’est accrochée sur une autre chanson. C’est comme cela que je ressens les paroles. J’étais indécis, je n’avais pas de thèmes en particulier. Je me suis dit : 'Pourquoi mettre de l’ordre à tout prix ?' J’ai lu récemment la philosophe allemande Hannah Arendt. Elle dit que l’homme préfère un mensonge cohérent à une vérité qui ne le serait pas. C’est une grande vision qu’elle a eue, j’ai eu cette impression durant les dernières élections (présidentielles, législatives)."
Lo’Jo frictionne les mots, invente des néologismes, et comme sur La libertad, une langue. Traduction en espagnol de la chanson La liberté à l’origine, le morceau est chanté dans une langue totalement imaginaire – une pratique courante pour le groupe. "La liberté, c’est un parfum de bohème / Une fleur restée interdite /, Mais c’est la plus belle de la rue fanée, la plus indocile", disait la chanson originale. Avec ce Fonténiq Flowers, Lo’Jo offre un joli bouquet de sons, parce que les fleurs, bah oui, c’est périssable.
Lo'jo Fonétiq Flowers (WV/Pias) 2017
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1Le 17 octobre 1961, 30 000 Algériens manifestent pacifiquement dans Paris à l’appel du FLN. En pleine Guerre d’Algérie, la répression de cette manifestation débouche sur plus de 11 000 interpellations et fait 200 morts parmi les manifestants, dont certains sont jetés dans la Seine.