Ben Mazué, la jubilation de la mélancolie
Pour son troisième album depuis 2011, Ben Mazué change une nouvelle fois de style : après le rap léger en 2011 et le parlé-chanté impétueux en 2014, le voici qui aborde, avec La Femme idéale, la chanson. Une chanson vibrante, qui continue à tourner autour de sa vie, de ses émotions et des gens qu’il aime. La liesse est lovée, Élodie et Nous deux contre le reste du monde montrent la voie… Rencontre.
RFI Musique : Dans le titre Élodie de La Femme idéale, vous dites "Je les comprends, les gens/ Et je sens que je suis des leurs". Est-ce là votre message essentiel ?
Ben Mazué : Ce serait bien… L’empathie, c’est quelque chose que j’aime aimer… Mais ce serait un message un peu prétentieux. En réalité, dans cette chanson, je prends les traits d’une femme que j’ai rencontrée et qui est dans une forme d’empathie un peu extrême : incapable de prendre des décisions tellement elle se met à la place des gens.
En septembre 2011, vous avez déclaré à RFI Musique "J’aime les gens qui doutent". De nombreux morceaux de ce troisième album l’illustrent…
Complètement ! Je citais une chanson d’Anne Sylvestre que j’aime beaucoup : "J’aime les gens qui doutent/ Les gens qui trop écoutent/ Leur cœur se balancer/ J’aime les gens qui passent/ Moitié dans leurs godasses/ Et moitié à côté"… Cet amour du doute traverse mes trois albums. Le doute est-il une vertu ou un défaut ? J’ai une aversion pour les gens prétentieux. Mais je suis très sensible aussi à la détermination. J’essaie d’être comme ça : déterminé au bout du doute. Ce n’est pas facile de faire cadrer ce que j’aimerais pouvoir faire et ce que je suis capable de faire en vérité… Mais jusqu’à présent, j’avance.
En trois albums, depuis 2011, vous avez changé trois fois de style. Comment ça se fait ?
J’ai mis un peu de temps à découvrir exactement ce qu’était ma musique. Je suis arrivé assez tard dans ce domaine. J’ai toujours considéré que je faisais de la chanson. J’ai un parcours de chanson française : j’ai fait beaucoup de scène, je pense que mes textes et mes musiques, pour être émouvants, doivent être d’abord compris. Sur cet album-là, j’ai l’impression que ça y est, que je me suis vraiment trouvé.
Dans votre morceau de 2011 Case départ (biographie), vous évoquez votre premier métier, la médecine, en disant : "J’ai appris la mort, la perte, la souffrance…" C’est violent, non ?
La médecine, c’était un "moi" de 17 ans… Je n’avais pas les mêmes espoirs, les mêmes audaces, les mêmes envies. Et j’ai justement fait ces études pour apprendre cela : la mort, la perte, la souffrance, ça fait partie de la vie. S’y confronter, c’est une manière de s’y préparer. Ça m’a forgé. Donc ces mots ne sont pas négatifs pour moi. Ça met la vie, la vraie, au centre d’un processus qui va trouver une fin… L’artiste, peut-être encore plus que les autres, vit en étant conscient qu’il va mourir. L’intensité même de la vie d’artiste prouve qu’on en profite avant qu’elle ne se termine.
Ce nouvel album balance entre mélancolie affirmée et jubilation : étonnant mélange…
C’est un album très compact. Je l’ai écrit en six mois, pendant lesquels je balançais, justement, entre mélancolie et jubilation. On peut trouver une forme de jubilation dans la mélancolie. Comme dans la nostalgie. Allez, j’ose m’auto citer : "La nostalgie est une liqueur triste"…
En 2015, vous avez coécrit avec Fréro Delavéga À l’équilibre, le dernier single issu de leur ultime album. Quand je les ai interviewés, ils m’ont dit "Ben Mazué est comme un grand frère pour nous". Cela vous émeut ?
Bien sûr ! (Sourire) C’est parce que je suis plus vieux. Mais eux aussi ont bien des choses à m’apprendre. Ils ont été sur des scènes que je n’ai jamais foulées. Je les ai rencontrés au moment où ils avaient tout juste signé dans une maison de disques. Ils avaient écouté une ou deux de mes chansons sur YouTube et ils se sont adressés à moi en disant : "Voilà. Nous on ne sait pas écrire des chansons, on aimerait en écrire avec toi". Partir de zéro avec des artistes et construire un objet musical, ça soude… Et c’est assez "jubilatoire" d’avoir en commun avec des collègues, une grande victoire.
Dans La Femme idéale, on trouve une très belle chanson sur votre père, Illusion. La relation père-fils est-elle une illusion ?
Non, c’est une réalité ! Mais il y a de nombreuses fois où l’on fait illusion, par pudeur, à cause des conventions sociales. Mon père aime le foot. Moi aussi – et ça sert de rampe de lancement vers ce que nous voulons nous dire vraiment. Je me suis beaucoup inspiré de mes parents autour des valeurs d’effort : pour être heureux, découvrir, oser, ne pas penser comme tout le monde…
Ce nouvel album est largement centré sur votre famille, votre couple. Vous aviez besoin d’une introspection ?
J’en ai toujours eu besoin : c’est le moteur principal de l’écriture. À une condition : chaque fois que j’écris sur moi, j’essaie de trouver des thèmes qui soient partageables. C’est là qu’intervient l’empathie. Pour faire des chansons, se mettre à la place des gens permet de savoir quels genres d’émotions personnelles peuvent être partagés. Je n’écris jamais sur moi si je pense que ça ne va concerner que moi.
Ben Mazué La Femme idéale (Columbia/ Sony Music) 2017
Site officiel de Ben Mazué
Page Facebook de Ben Mazué