Toto Bona Lokua, un trio pour embrasser la tolérance
Portée par leurs voix et soulignée par ces harmonies vocales à l'esthétique douce, la conversation que renouent le Martiniquais Gérald Toto, le Camerounais Richard Bona et le Rwando-Congolais Lokua Kanza sur l'album Bondeko semble couler de source. Comme si les trois chanteurs musiciens reprenaient les choses là où ils les avaient laissées en 2004 lors de leur première association.
RFI Musique : Faut-il voir ce deuxième volet de vos aventures, treize ans après le premier, comme un projet de longue date qui a mis du temps à se concrétiser ou comme une envie récente ?
Gérald Toto : On a tous les trois reçu assez régulièrement des demandes en ce sens, mais à chaque fois ce n'était pas possible. Il y a deux ans, en 2015, on était tous prêts de le faire à l'occasion d'une énième proposition de concert à Africajarc. Ça n'a pas pu se faire non plus, mais je suis allé là-bas présenter un autre projet. C'est le genre de festival où toute l'Afrique est représentée, et tous les artistes sur place m'ont demandé si on allait faire un autre album, qu'ils avaient besoin d'entendre encore cette musique. J'en ai fait part à Richard et Lokua, parce que je trouvais que ce n'était pas courant, plus de dix ans après. Et ils ont été partants !
Pour le premier album, vous ne vous connaissiez pas et il y avait une sorte de mise en danger. Cette fois, derrière les retrouvailles, quel est le moteur ?
Richard Bona : On l'a plus ou moins vu sous le même angle que le premier. Ça reste une rencontre, une manière de jouer qui se fait naturellement sans une grosse préparation. J'aime bien souligner le fait que c'est un métissage. Pour envoyer ce message que nous, les artistes, on a un devoir de partager avec le public : toujours montrer que lorsqu'on met des gens ensemble dans un métissage, il en sort des choses bien. Et dire aussi que participer à un tel projet, pas seulement en musique, c'est plus ou moins embrasser la tolérance, embrasser les différences. Nous, on l'illustre à travers la musique, l'un venant des Antilles, l'autre du Congo-Rwanda et moi du Cameroun. C'est ce qui est important dans le monde dans lequel on vit aujourd'hui. Ne pas se focaliser sur la musique ; on l'utilise juste comme un vecteur de communication pour montrer que vivre ensemble, faire des choses ensemble, c'est possible.
La langue inventée, qu'on appelle souvent "yaourt" était-elle encore d'actualité sur les nouveaux morceaux ou avez-vous eu recours à un langage plus conventionnel ?
Lokua Kanza : Les paroles comptent et en même temps, ne comptent pas. C'est vrai que dans le premier album, il y avait pas mal de yaourt. Dans le deuxième, c'est plutôt pareil même s'il y a des textes sur certains morceaux. Le plaisir est de simplement s'exprimer et donner du plaisir. Et pour cela il faut d'abord en prendre. Par rapport au précédent disque, il y a une intimité entre nous, et je crois que ça s'entend.
Gérald Toto : Pour moi, cette langue vient du cœur. Le yaourt est une langue qu'on utilise tous quand on compose et généralement qui reste vague, qu'on n'investit pas ou peu. Là, on est plutôt dans l'esprit du jazz : la voix est un transport d'émotion, et on passe quelque chose. C'est le propos de toute langue. Et c'est pour ça que même si on ne comprend pas les mots, on comprend la chanson, on entend l'émotion. Cette fois-ci, nous nous sommes raconté nos histoires, treize ans plus tard.
Richard Bona : La musique est parfois difficile à appréhender, même quand on la côtoie depuis des années – moi j'en joue depuis que je suis né : parfois, je trouve une intonation en yaourt, mais au moment de mettre des mots, ça ne sonne plus pareil. Tu peux mettre des paroles dans la langue que tu veux, ça ne fonctionnera pas. Parce que c'est le langage de la musique.
Gérald Toto : C'est une vibration. Émotionnelle. Comme un cri, que l'on fait tous naturellement. Et c'est ce qui nous relie, parce que c'est intelligible par tous. Comme un rire.
Richard Bona : La première fois que j'ai écouté Stevie Wonder, je ne parlais pas anglais. Pour moi c'était du yaourt. Mais ça sonnait bien.
Il y a moins de trois mois disparaissait un musicien avec lequel chacun de vous a eu l'occasion de jouer au cours de sa carrière : l'accordéoniste malgache Régis Gizavo, lauréat du prix Découvertes RFI en 1990. Quels souvenirs son nom évoque-t-il pour vous ?
Richard Bona : Régis, c'est mon premier room mate ! On a habité ensemble pendant deux ans, au 19 rue Marx Dormoy à Paris – Richard Galliano était notre voisin de palier ! Il venait d'arriver de Madagascar, moi du Cameroun. On n'avait pas encore de boulot. On jouait tout le temps et on bouffait tout le temps. On allait faire les courses chez Ed l'épicier, on comptait les pièces. On faisait des croque-monsieur... Il ronflait beaucoup ! Non seulement c'était un excellent musicien, mais aussi quelqu'un de vraiment sincère et de chaleureux, fidèle en amitié, même si j'étais parti aux États-Unis et que lui était resté en France. Une fois, je savais qu'il jouait en Louisiane au festival de Lafayette et j'avais fait la route pour aller le voir. Mais sur place on n'arrivait pas à me donner le numéro de sa chambre d'hôtel pour le retrouver. Je l'ai trouvée en passant devant : j'ai vu la porte qui tremblait, j'ai entendu le ronflement et je me suis dit : ça, c'est Régis !
Lokua Kanza : Je garde le souvenir d'un mec hyper chaleureux. Quand il te voyait, c'était comme s'il te connaissait depuis des siècles. Savoir qu'il est parti est bouleversant. Tu as envie qu'il te fasse encore vibrer.
Gérald Toto : J'ai fait sa connaissance au moment de mon premier album sur lequel il était venu jouer. Régis, il vous embrassait de son talent, de son rire, de sa lumière. Et à chaque fois qu'on se croisait, c'était toujours pareil. C'est une personne qui naturellement donnait. Il y a des musiciens que tu as envie de guider, de corriger ; mais avec lui, il n'y avait rien à dire, à enlever, à ajouter. Tout était là.
Toto Bona Lokua Bondeko (No Format) 2017
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