Kaaris: toujours la rage

Le rappeur Kaaris. © Edilson

L’un des plus virulents protagonistes du rap français, façon hardcore, Kaaris, sort un nouveau disque, Dozo, du nom de ces chasseurs traditionnels d’Afrique de l’Ouest. À cette occasion, celui qui se définit comme un "cavalier solitaire" dans le rap, revient sur sa relation à la Côte d’Ivoire, son pays de naissance, sur la musique africaine, et sa manière d’envisager son art. Rencontre.

RFI Musique : Dozo sort moins d’un an après votre dernier disque, Okou Gnakouri. Vous êtes hyper productif ?
Kaaris
: Disons hyperactif !

Vous dites vous sentir isolé dans le paysage du rap français… Kaaris, cavalier solitaire ?
Comme pour les équipes de foot, le rap fonctionne en crews, en divisions. Forcément, quand tu sors un disque et que d’autres rappeurs le partagent sur les réseaux sociaux, ça te donne plus de force. Mais quand tu es seul dans ton coin – ce qui est mon cas –, ça te donne plus de rage, et davantage de personnalité.

Votre disque s’intitule Dozo. Ce sont des "samouraïs africains". Pourquoi ?
L’image des "samouraïs", c’est un raccourci symbolique que j’emploie. Les dozo forment une confrérie de chasseurs ancestraux en Afrique de l’Ouest. Ce sont des guérisseurs, des protecteurs de la cité. J’aime cette image de gardiens. Je tâche de protéger les miens. Et de rester un guerrier. La vie est dure. Il suffit d’aller Porte de la Chapelle pour s’en rappeler au quotidien.

Vous souvenez-vous de votre premier retour en Côte d’Ivoire ?
J’ai quitté le pays à l’âge de trois ans. J’y suis retourné en 1999 pour des vacances avec ma mère. Dès l’aéroport, j’ai ressenti un choc – la chaleur, l’humidité – avec cette impression viscérale de connaître, sur ma peau, ces sensations. Même si je me sens chez moi en France, j’avais ce sentiment de renouer avec l’autre part de moi-même, de retrouver mes frères

Vous y êtes ensuite revenu régulièrement. Quel rapport entretenez-vous avec votre pays de naissance ?
J’y suis revenu en 2000, 2001 et 2003. Je passais des vacances avec les membres de ma famille restés au pays. J’adorais me retrouver dans le quartier populaire de Yopougon, où ils habitent : me promener dans la rue, manger dans les "maquis", ces restos typiquement abidjanais, m’enjailler en boîte. Mon frère, à la tête d’une société d’import-export, possédait deux magasins. Il négociait des pneus, des frigos. En 2003, je suis allé bosser avec lui. Les trois semaines initialement prévues se sont transformées en huit mois. Je suis rentré lorsque le conflit a éclaté...

Depuis, vous revenez sous le nom de Kaaris pour vos concerts. Quel accueil recevez-vous ?
J’ai fait mon premier concert ivoirien en 2015 en plein air, à côté du Palais de la Culture, pas encore achevé. En temps normal, j’arrivais à l’aéroport, mon cousin venait me chercher avec un taxi et on allait manger dans un alocodrome, un poulet, un poisson braisé : la vie abidjanaise ! Là, une foule compacte m’attendait, avec des fleurs, des caméras ! En 2017, je n’ai même pas attendu mes bagages. Pour me chercher ? Des voitures à gyrophares. C’était la folie ! Des centaines et des milliers de frères et sœurs m’acclamaient ! J’avais l’impression d’être l’un d’eux, mais d’avoir réussi à franchir la barrière, à m’en sortir…

Vous pensez que la musique, notamment, permet aux jeunes Africains de relever la tête ?
Aujourd’hui, dans les rues d’Abidjan, résonnent du rap, du zouglou, des groupes hyper bons comme De Bordeaux, ou Kiff no Beat. A l’heure actuelle, la musique africaine influence le monde entier. Surtout dans le rap, parce de nombreux rappeurs sont d’origine africaine ! Et comme c’est l’une des musiques les plus populaires… Les artistes regardent vers l’Afrique parce que s’y concentre l’une des populations les plus jeunes au monde, et donc l’une des plus actives, des plus créatives ! En Afrique, la musique circule sans cesse sur les téléphones portables. Tout le monde est hyper connecté, à la pointe ! Je pense que l’Afrique a la niaque. Et ça passe aussi par la musique !

Dans vos titres, aux couleurs zouglou, hip-hop, vous utilisez aussi des mots ivoiriens, tels "gninnin ", ou "tchoin". Que signifient-ils ?
"Je suis gninnin", ça veut dire, je suis "bien". Exemple : tu as bien mangé, tu as le bide explosé, ou bu pas mal d’alcool, tu dis "Je suis gninnin". Une "tchoin", c’est une "fille facile".

Vous ouvrez votre disque sur une grosse dizaine d’occurrences du mot "pute". Cette introduction violente est-elle une provocation ? Du sexisme ?
Non, c’est seulement un gimmick, un mot qui claque. Une entrée de son.

Mais le mot possède une signification…
Là, non.

Avec des chansons comme "tchoin" qui décrivent les filles "faciles", n’avez-vous pas le sentiment de faire le jeu d’un rap inconscient et misogyne ?
Non. Quand je dis "ON préfère les tchoins", je décris le comportement des hommes. Dans ces histoires de sexisme, les mots doivent être explicites. Sur ce titre, les filles aiment aussi s’enjailler. De toutes façons, je ne cherche, en aucun cas, à conscientiser : j’espère juste que les gens vont s’amuser sur mes chansons. Je travaille mes textes, j’essaie de sortir des bonnes rimes, des punch lines efficaces, des egotrips, c’est tout. 

Vous faîtes du rap hard-core. Pourquoi tant de haine ?
Mon rap reflète ce que j’ai écouté. Si tu tends l’oreille aux mots des rappeurs US, Dr Dre, Nass ou Rakim, tu verras qu’à côté, je suis un enfant de chœur. Je kiffe le rap hard-core, je kiffe le gore, je kiffe les films d’horreur, c’est ma voie. Et puis, je suis un compétiteur. J’ai commencé dans le rap en balançant des phrases, des Scuds, des freestyles sur Paname, dans des face-à-face : un peu comme dans les battles de vannes, mais en rap. Je voulais être meilleur que mon adversaire ; j’ai gardé ça : le goût des mots coup-de poing.

Dès la sortie du disque, une foule de vos fans vous a reproché, sur les réseaux sociaux, de vous être assoupli, d’interpréter des chansons d’amour, comme Etre deux
C’est un complot… 60 000 tweets en même temps dès la sortie du disque, je trouve ça bizarre ! Pareil, il y a eu des milliers et des milliers de signalements pour le clip Dozo, depuis retiré, alors qu’il n’y  même pas une arme à feu ! Même Youtube, alerté, n’a pas compris ! Je ne calcule pas. J’ai écrit Etre deux parce que je kiffe… Mais il y a aussi de nombreux morceaux comme Dozo, Courez, ou Menace, qui sont très hardcore. Kaaris reste toujours énervé !

Sur ce disque, vous chantez. Pourquoi ?
Oui ! Aux US, le rap et le r'n'b se mélangent. Regarde Drake ou Tory Lanez ! J’ai bossé ma voix, mes gammes, j’ai utilisé l’autotune… Bref, je fais ce que j’aime !

Vous avez écrit un texte sur Végéta, personnage de Dragon ball Z. C’est votre double ?
J’aimerais trop ! Il est légendaire ! C’est la fusion parfaite de Sangoku et des méchants! C’est un mauvais, mais il a bon fond. Il conserve précieusement cette rage en lui.

Kaaris Dozo (Def Jam Recordings) 2017

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