Le Kaz’Out Festival veut s’affranchir du séga

Vue générale du Kaz'Out Festival 2019. © Great Shots/Kaz’Out Festival

Avec 3000 personnes présentes, l’édition 2019 du Kaz’Out Musik Festival à Maurice a fait le plein cette année. Bien que les groupes à l’affiche soient essentiellement locaux, ce rendez-vous musical s’attache à élargir les styles pour ne pas s’enfermer dans le séga, rythme emblématique de l’île. Rock malgache, indie-pop, électro, blues créole, dancehall jamaicain, dub, il y en avait pour tous les goûts et toutes les générations.

Petite brise océane, ciel sans étoiles éclairé par un dernier quartier de lune scintillant, température de 26° à minuit. Toutes les conditions météorologiques étaient réunies en ce 1er novembre pour la clôture de la sixième édition du Kaz’Out Musik Festival à Maurice qui se déroule en plein air. Si pour bon nombre d’entre nous, le jour de la Toussaint incarne une fête catholique, c’est aussi le premier jour de l’été dans l’hémisphère sud. "Nous n’avons pas choisi cette date par hasard. C’est le début des beaux jours, des grandes vacances. Du coup nous essayons d’inciter les gens à sortir de chez eux, à ouvrir leur oreille, à partager. Plus qu’un festival, le Kaz’Out est un état d’esprit", souligne Lionel Permat, l’un des fondateurs de l’évènement. Avec Laura Hebert, il crée en 2012 Lively up, l’une des rares structures professionnelles à promouvoir la musique sur l’île avant de lancer le festival un an après. Un vrai défi quand on sait que la "nightlife" n’est pas dans la culture des Mauriciens.

Deux jours de festival à guichets fermés

Le bouche-à-oreille fonctionnant, ils étaient tout de même plus de 3000 festivaliers à s’être déplacés. Un "sold-out" jamais réalisé jusqu’à présent ! Après avoir quitté la route côtière en provenance de Port-Louis, la capitale, il faut entrer dans les terres pour se rendre dans la région pamplemousse. En traversant de petites bourgades, de magnifiques guirlandes rouges et blanches ornent les rues. Ce ne sont pas des décorations d’Halloween oubliées. Chaque couleur représente un parti à l’effigie des candidats dont les portraits sont placardés partout en vue des élections législatives qui doivent se tenir le 7 novembre prochain. À la sortie d’un village, les plantations de cannes à sucre reprennent leurs droits sur ces terres agricoles. C'est à Beau Plan, une ancienne sucrerie transformée aujourd’hui en musée, qu’a élu domicile le Kaz’Out. Sublime jardin à la végétation généreuse, le site offre trois scènes adossées à une longue cheminée en brique, vestige de la raffinerie sucrière. Durant 12 heures, pas moins d’une quinzaine de groupes se sont succédé à un rythme marathonien. Venus en famille, entre amis, les festivaliers ont tout loisir de profiter: espace enfants, atelier de peinture, tatouages éphémères, séances de yoga… Tout est fait pour le bien-être pour ce rendez-vous à taille humaine avec bien sûr au centre, la musique, source de partage et d’émotion.

La vague indie-pop d'Anne Ga

Ce petit caillou planté dans l’océan Indien est connu pour son séga, rythme emblématique inscrit depuis 2014 au patrimoine mondial de l’Unesco. Une esthétique que Lionel Permat veut bousculer: "Lorsque nous élaborons la programmation, nous ne voulons pas réduire les artistes locaux à de simples ségatiers. Ici, la jeune génération est nourrie de plein de sons venus d’ailleurs. Elle veut donc s’émanciper de notre rythme ancestral. Cela me semble normal et s’inscrit dans un processus de création actuelle". Dans cette lignée d’artistes, Anne Ga. Diplômée de sciences politiques, cette jeune chanteuse blondinette jouait dans l’après-midi, à l’heure ou le soleil chauffe les esprits. Avec son petit minois et sa voix puissante et chaude, elle fait partie de cette vague indie-pop qui a eu un succès d’estime depuis quelques mois avec son single Remember Me. Dans un tout autre registre, The Two proposait un voyage partant du lac Leman aux lagons de l’océan Indien en passant par les eaux du Mississippi. Avec ce duo helvético-mauricien, le propos se voulait radicalement blues. Un blues rocailleux teinté de créolité mais aussi de bluegrass avec les guitares jouées en slide. À l’heure du soleil couchant, les festivaliers commençaient à avoir le ventre creux. Rien de tel qu’un cari de poulet, des samoussas et autre rougail saucisses pour satisfaire leurs envies. Des spécialités océano-indiennes qui affûtaient nos papilles avant d’entamer les concerts du soir. Devant un public essentiellement féminin de groupie, Hans Nayna faisait le plein. Crooner trentenaire, il fait partie de ses artistes qui comptent sur la place. Alliant soul, rock, blues et pop, le chanteur mauricien inspiré par Ben Harper est un véritable "performer". Se produisant pour la première fois au Kaz’out, il proposait un set minutieusement rodé qui ne laissait personne indifférent.

Les Malgaches Dizzy Brains à l'apéro

Autre scène, celle du Kaz’apéro, autre style. Jouant à Maurice pour la première fois, The Dizzy Brains achevaient leur tournée internationale ici avant de rentrer chez eux, à Madagascar. Depuis leur révélation aux Transmusicales de Rennes (à l’ouest de la France) il y a trois ans, ces quatre jeunes garçons déchaînés au rock garage engagé, ne cessent d’enflammer les scènes d’Europe. C’est grâce à eux que le monde a découvert l’existence d’une scène rock bien présente dans les quartiers de Tananarive. Là encore, Madagascar enfermé dans le salegy, rythme côtier en 6/8, prouve qu’une autre musique est possible. Réputé pour être sage et peu extravagant, le public mauricien est resté scotché osant même un petit pogo ! Une communion entre le public et la scène due sans nul doute au charisme d’Eddy, le chanteur des "cerveaux étourdis" qui termine toujours son show torse-nu. Après cette claque, le public mauricien retrouvait ses repères avec The Prophecy. Porte-drapeaux du seggae (fusion du reggae et du séga), ce groupe envoyait un gros son nourri de soul et de dancehall avec des chansons en créole. Un show sans grande surprise taillé sur mesure pour un parterre conquis d’avance, car très friand de ce beat inaltérable.

Kaz'out et plus loin encore

Histoire de varier les plaisirs, Kaz’Out avait invité d’autres artistes loin des esthétiques régionales. Exemple: DuOud. Duo algéro-tunisien composé de Jean-Pierre Smadj et Mehdi Haddab, il offrait un récital instrumental dont il a le secret. Un dialogue de deux ouds aux sonorités électro brassant groove jazz, musiques contemporaines et réverbérations métals. Mais le clou de la soirée revenait incontestablement au tandem LT Stitchie et Manudigital. Pionnier du dancehall jamaicain avec son flow et son écriture hors du commun, il a subjugué le public. Costume blanc, chaussures en verni noir, ce vétéran est totalement habité sur scène. Excellent orateur, le lieutenant Stitchie était mis en valeur par le beatmaker français Manudigital. Bassiste et producteur, il sévit dans le dub depuis une quinzaine d’années. Avec ses mix ultra-basse, l’artiste vous réveille les tympans avec son univers hypnotique. Une combinaison parfaite pour achever ce festival avec des vibrations plein la tête.

Depuis 2013, ce rendez-vous semble maintenir ses objectifs: proposer une affiche innovante où se mélangent des artistes en développement et confirmés. Avec cette édition 2019, le Kaz’Out peut se targuer de faire désormais parti des rendez-vous qui comptent dans la zone océan Indien, au même titre que le Sakifo à la Réunion ou le Libertalia Festival à Madagascar.