Emily Loizeau, les poèmes de Lou Reed
Avec Run Run Run, l'artiste franco-anglaise Emily Loizeau rend hommage à l’Américain Lou Reed. Où l’on retrouve dans la bande-son de ce spectacle le chanteur du Velvet Underground dans le texte, grâce à un trio qui revisite des chansons d’une grande simplicité, et s’attache à restituer l’étrange lumière de cet apôtre de la noirceur.
Avant d’être un disque, Run Run Run est un spectacle. Cet hommage à Lou Reed, a beaucoup tourné depuis cinq en France, au gré des demandes et des envies. Il a été pour Emily Loizeau l’occasion de plonger dans la vie et l’œuvre d’un chanteur que le magazine américain Rolling Stone décrivit à sa mort, le 27 octobre 2013, comme "une légende new-yorkaise".
Si la voix grave de Lou Reed a caressé l’oreille de milliers de rockeurs et a été une influence majeure pour beaucoup, la chanteuse franco-anglaise n’était "pas une experte" en la matière. Elle préférait son groupe, le Velvet Underground, fondé au milieu des années 1960, et connaissait surtout les pierres angulaires d’une carrière étendue sur près de cinquante ans. "À la fin de sa vie, Lou Reed ne voulait plus chanter. Il souhaitait qu’on entende ses textes lus, sans le vecteur musical. Il voulait laisser une œuvre poétique derrière lui", raconte Emily Loizeau.
Pour la chanteuse, tout est parti de la demande de la commissaire d’exposition et programmatrice, Clémentine Déroudille, d’une lecture chantée. Pour imaginer cette aventure, elle s’est entourée de son guitariste, Csaba Palotaï, et de la comédienne Julie-Anne Roth, qui est allée chercher des morceaux d’interviews qu’elle lit en scène.
Montée en quelques jours, une première mouture de ce spectacle a été donnée au Marathon des mots, à Toulouse, et puis elle a été retravaillée, pour donner lieu à cette version définitive, donnée dès la fin 2014, au CentQuatre à Paris. "Plus on se plongeait dedans, plus on réalisait qu’on n’avait pas pris du tout la mesure de la force littéraire et poétique de ces textes, de leur infinie quête de lumière et de leur tendresse. Spontanément, on a l’image de ce bonhomme qui nous scrute avec son visage glacial, tel un lion méfiant au fond d’une forêt. Mais à chaque fois que j’ai chanté ces chansons, j’ai été prise d’une émotion très forte. Le regard qu’il a sur ses personnages est bouleversant", estime-t-elle.
Les rues de New York comme décor
Il y a donc Holy et les figures interlopes de l’incontournable Walk on the wild side, Stephanie cette fille "toujours entre deux monde", et toute une galerie de gens plus ou moins paumés. Dans les rues de New York, où l’on peut passer d’une conversation mondaine (New York Telephone Conversation) à un dimanche matin mélancolique (Sunday Morning), les fantômes du passé remontent à la surface et augurent parfois d’un jour nouveau.
Ce dont on se rend compte en se penchant plus avant sur ces paroles, c’est combien elles ont une ligne claire. Le trait peut alors aller d’une ironie mordante à une infinie tristesse, lorsque ce jour passé avec quelqu’un qu’on aime (Perfect Day) semble relever de l’imaginaire plus que d’une épiphanie. La grâce de Lou Reed est d’avoir composé des morceaux en trois/quatre accords, mais dont les mots, presque littéraux, et le lyrisme emprunté entre autres au compositeur allemand Kurt Weill, ont redéfini le cadre du rock.
"Au début, je l’ai fait parce que c’était spontané. Mais reprendre Lou Reed, ce n’était pas une évidence, assure Emily Loizeau. Je trouve que c’est tellement lui dans sa manière de porter les textes qu’on y regarde à deux fois avant de le faire. On se dit : 'Mais est-ce que ça n’est pas ridicule ?' Je ne me pique pas, je n’ai jamais pris d’ecsta, et je bois plutôt du thé vert. On n’est pas dans le même monde, et il était hors de question pour moi de me rendre plus rock que l’original. Quand je reprends un titre, j’aime bien me dire que j’aurais pu l’écrire. Pour moi, ce qui était vital, c'est que cela puisse se faire pratiquement en piano-voix." Le fait d’être une femme a aidé miss Loizeau à décaler son propos et à se faire une place dans ces morceaux "à sa taille", en termes de chant.
"Ce n’est jamais mièvre"
Largement centré sur le Velvet Underground, ce spectacle ne s’attarde pas sur la défonce et les bas-fonds. Il met plutôt à jour l’humour à froid et l’étrange lumière du personnage, qui semble sortie, comme dans un film de David Lynch, tout droit des ténèbres. "Ce qui me fascine et ce qui me fait jubiler, c’est son insolence. On sent que toute l’écriture est nourrie par une irrévérence par rapport à notre société et à tout ce qui la jalonne, au fait de mettre les gens dans une case. Il y a une colère, une rage, qui fait que ce n’est jamais mièvre, et en même temps, ça ne parle que d’amour", estime Emily Loizeau.
Justement, c’est lorsque ces reprises vont chercher dans les recoins de l’âme humaine qu’elles touchent le plus juste, à l’image de Sword of Damocles. Qu’elle raconte la perte d’un ami dans une chimiothérapie ou puisse se plier à toutes les interprétations possibles, cette épée aura été notre grande découverte de ce Run Run Run.
Pour le reste, cette captation sonne plutôt comme une promesse. Dès qu’il sera à nouveau possible de revenir dans les salles de concert, il faudra aller voir ce trio qui joue les chansons du grand – méchant ?- Lou, au centre de la salle, le public assis en rond autour de lui, et le son venant des quatre coins de cet espace.
Emily Loizeau Run Run Run (Les Éditions de la Dernière Pluie - December Square / distr. DifferAnt)
En concert les 10 et 11 septembre au CentQuatre à Paris
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