Les bulles pop de David Numwami
L’apesanteur règne dans l’univers souriant et décalé de David Numwami, chanteur belge d’origine rwandaise de 27 ans. À travers son premier projet solo intitulé Numwami World, le musicien vu entre autres aux côtés de Sébastien Tellier et Charlotte Gainsbourg fait rebondir sa pop teintée d’électro pour dégager une légèreté bienvenue.
D’un mouvement souple, il se glisse en contrebas de la scène et se fond dans l’obscurité. Avant de réapparaitre derrière un muret, micro en main, jetant en l’air avec une nonchalance si naturelle qu’elle parait étudiée une poignée de graviers pour qu’ils retombent en pluie. Sur les balcons de la Côte-d’Azur, le Labyrinthe Miró de la prestigieuse Fondation Maeght où il se produit en cette fin août est devenu quelques instants le terrain de jeu de David Numwami.
La veille, à Nice, le chanteur est tout à coup entré dans la Méditerranée pour y terminer un morceau… “Durant la journée, une partie de moi me disait de ne pas le faire, mais pendant le concert, j’en avais trop envie : c’est peut-être la seule fois où je jouerai juste à côté de la mer”, justifie-t-il. Comme Frànçois & The Atlas Mountains qu’il a accompagné en tournée il y a quelques années, il aime sortir de scène dès que l’occasion se présente.
L’explication ne relève pas de la simple lubie : “Il y a pour moi quelque chose de presque gênant à jouer au musicien. C’est un peu comme si j’étais embarrassé”, analyse-t-il. Cette interrogation sur sa propre légitimité transparait sur son EP Numwami World dès la chanson introductive Hello qui souhaite la bienvenue à l’auditeur : “Si vous êtes là, c’est que vous devez être perdus”, dit une voix accueillante an anglais. “Je n’arrive pas à savoir ce qui, dans ma musique, peut entrer en résonnance avec quelqu’un d’autre”, poursuit David avec une honnêteté et une humilité aussi touchantes qu’indéniables.
Un espace de liberté
Avoir baigné dans la musique depuis sa tendre jeunesse – il a commencé la guitare à cinq ans – semble lui avoir fait oublier les qualités qu’il y a développées. Elles n’ont toutefois pas échappé à Charlotte Gainsbourg, qui a fait appel à lui comme sideman durant la longue tournée de son dernier album en date. Ni à Sébastien Tellier avec lequel il partage ce goût pour ce qui est décalé et qui l’a embauché aux claviers en live, en lui offrant en outre la possibilité de faire sa première partie pour présenter le répertoire de Numwami World. Ni encore au plasticien Xavier Veilhan qui, lors de la Biennale de Venise en 2017, l’a associé dans le pavillon français au musicien Pierre Rousseau, ex-moitié de Paradis. “Je voulais faire des bulles avec ses instruments, mais il était assez perplexe”, se souvient David, attiré par le monde de la bande dessinée au point d’avoir voulu en faire son métier, avant d’opter pour des études de philosophie via un détour par l’architecture. L’influence nourrit en profondeur l’univers visuel ou graphique qu’il s’est créé, évoquant par certains côtés le clip de Comic Strip de Serge Gainsbourg.
Pour ce premier projet personnel, David Numwami a exploité ses capacités de multiinstrumentiste et s’est occupé de presque tout. Les périodes de confinement n’y sont pas étrangères, mais celui qui s’est d’abord révélé en Belgique au sein du groupe Le Colisée à 18 ans a aussi voulu s’octroyer un “espace de liberté” : tester toutes ses idées musicales et en assumer seul les conséquences. Le processus d’évolution de Numwami World a été de son aveu “assez chaotique”. D’abord baptisé The Blue Mixtape avant d’être réduit à Blue, en référence à certains morceaux qu’il voit de cette couleur (bleu foncé pour Théma, bleu clair pour Milky Way), il imagine ensuite un double album mais, sous la contrainte des échéances, finit par sélectionner sept chansons.
Perfectionniste
S’il évolue dans la pop et assure que c’est aujourd’hui ce qu’il préfère, il l’a longtemps ignorée. “Avec les copains, on détestait la musique commerciale”, rappelle-t-il. Au lycée, leur répertoire tend vers le rock progressif, avec un esprit fusion hérité de Weather Report et, pour lui, un penchant prononcé vers “les gros solos de guitare”. En musicologie, il choisit de travailler sur le dodécaphonisme d’Arnorld Schönberg. Rien de mainstream, dans la démarche. “Ça m’a pris du temps pour me dire que je n’étais pas quelqu’un de très dark, que ce n’était pas la peine d’essayer d’impressionner”, explique David. “On peut cacher dans la pop des choses plus cérébrales, plus sophistiquées”, comprend-il soudainement.
Derrière l’apparente facilité, le personnage décontracté est un perfectionniste exigeant, qui souffre tant que ses chansons ne le satisfont pas. De ses racines avec son continent natal, aucune trace dans son répertoire. “C’est une façon de ne pas y penser”, reconnait l’artiste qui “écoute de la musique de Noirs comme un Blanc” et entretient “un rapport troublé à l’Afrique” : sa famille a trouvé refuge en Belgique juste après qu’il est venu au monde, tandis que le Rwanda sombrait dans l’horreur du génocide. En lui mettant une guitare dans les bras dès son plus jeune âge, sa mère savait ce que la musique pouvait apporter : apaiser les âmes.
David Numwami Numwami World (The Ffamily) 2021