Un week-end à Rock en Seine

Le chanteur belge Stromae, sur la scène de Rock en Seine 2022, près de Paris. © Edmond Sadaka / RFI

Après deux annulations en raison du Covid, Rock en Seine a retrouvé ses quartiers de fin d’été. Sur quatre jours, le festival qui se déroule dans le Domaine national de Saint-Cloud, aux portes de Paris, a renoué avec la fête, accueillant 150 000 spectateurs. Un Nick Cave aux allures de prêcheur et Stromae ont bien participé à faire de cette édition une grand-messe.

Dimanche soir, en conclusion de l’édition 2022 de Rock en Seine, Stromae avait bien le cœur aux célébrations. Le chanteur belge se donne certes moins que par le passé, mais il y a paradoxalement quelque chose de réconfortant à retrouver ce bonhomme qui vous chante tous les malheurs du monde sur de l’électro. Derrière leurs pupitres blancs, ses quatre musiciens sont quasi statiques, tandis qu’en fond de scène, des écrans aux bras télescopiques bougent dans tous les sens et diffusent des animations. Maître de cérémonie taquin, le grand Paul sait produire des moments familiaux et, millimétré, son concert alterne tubes (Papaoutai, Formidable, Alors, on danse, Tous les mêmes...) comme des extraits de sa récente Multitude. Après deux annulations en raison du Covid-19, Rock en Seine a renoué avec la fréquentation des grands jours. Durant quatre soirées, 150 000 spectateurs ont afflué vers le Domaine national de Saint-Cloud. À moins de quinze jours du festival, l’annulation de Rage Against the Machine pour une rupture du tendon d’Achille de son chanteur, Zack de la Rocha, a pourtant donné des sueurs froides aux organisateurs, qui ont annulé, la soirée prévue mardi 30 août, et pour la deuxième fois consécutive, la venue de « Rage ».

Nick Cave, pour un grand prêche

Au moment où se terminait le festival, ses organisateurs parlaient toutefois de « communion » autour de groupes comme Tame Impala, Idles ou Fontaine DC. Rock en Seine a surtout opéré un retour à son identité pop-rock. Sa recette, sans hip hop ou presque ? De grosses têtes d’affiches internationales sur la grande scène, une deuxième scène plus éclectique, et puis des scènes autrement plus modestes, dédiées aux découvertes. Plus que les autres éditions, le rendez-vous parisien a tourné autour de ces grands noms que tous viennent voir, quitte à éclipser le reste. Vendredi 26 août, Nick Cave a joué son rôle de messie à la perfection. Le chanteur australien a livré un concert tout simplement épique. On savait depuis bien longtemps Nick Cave capable de ruer dans les brancards. On l’aura retrouvé en grand prêcheur, montant littéralement sur les premiers rangs et mettant ses mains dans celles d’un public conquis d’avance. À 64 ans, chevelure noire tirée en arrière et costume cintré, il semble revenu de la mort de deux de ses fils et exorcise ses démons. Amené par son fidèle barde Warren Ellis et un trio de choristes, son groupe a joué un rock furieux ( Get ready for love, From Her to Eternity) ou laissé place à des piano / voix à la douleur déchirante (I Need You, Waiting for you). Il faut voir son Jubile Street pour se rendre compte combien ils sont rares les moments comme ceux-ci, y compris en festival.

© Edmond Sadaka / RFI
Nick Cave, sur la scène du festival Rock en Seine, près de Paris, août 2022.

 

The Blaze, émotion électro-pop à la française

À côté de ces instants où les poils se mettent au garde-à-vous, tout paraît un peu plus fade. Et pourtant durant deux jours, on aura pu retrouver l’émotion des concerts. Sur la petite scène du Bosquet samedi 27 août, November Ultra jouait certes avec le soleil dans les yeux. Mais cette fille qui blague volontiers entre les chansons et dédicace un morceau en espagnol à son « Papi Ramon », se révèle en charmante femme orchestre avec son sampler, sa guitare Gretsch, et sa pop intimiste. Elle a l’air de ne pas vraiment croire qu’elle est là et le répète. Mais c’est bien sa voix et sa pop, très douces, qu’on retient.

Le duo d’électro-pop The Blaze joue une autre carte, avec ses projections vidéos et ses voix trafiquées. Ce que cherchent Jonathan et Guillaume Alric, les deux cousins qui ont été autant révélés par leur musique que par leurs vidéos ? Celle de mettre de « l’humain » dans les machines et les images. Sur cette même scène de la Cascade, les touaregs d’Imarhan auront ouvert le dimanche de façon électrique et avec leur électro très jazzy, les FKJ auront réussi le pari de faire descendre gentiment la pression avant Stromae. Une gageure tant l’ambiance a parfois ressemblé à un grand chaudron sur lequel la poussière monte.

© Edmond Sadaka / RFI
Le groupe français The Blaze, sur la scène du festival Rock en Seine, près de Paris, août 2022.

 

Un espace VIP très critiqué

La grande critique de ce week-end aura été la mise en place d’un « Golden Pit » juste devant la scène, une fosse réservée à 3 000 festivaliers ayant payé 20 euros plus cher leurs places par soir et d’un espace VIP, ouvert à 1 500 personnes du public, ayant payé 30 € plus cher. Une première dans un festival de musique pop, déjà le lot pourtant des gros concerts, dans les arenas et les stades. Dans le public comme sur les réseaux sociaux, les réactions ont été vives, pointant notamment la marchandisation à l’œuvre dans ce genre de rendez-vous.

À cela, les organisateurs ont répondu par des données économiques. Le festival parisien aux 14 millions d'euros de budget annuel et détenu par AEG et Combat, le groupe de Matthieu Pigasse, tire à 85 % ses recettes de la billetterie. Il fait face à une demande du public pour ces places et d’une inflation exponentielle des cachets d’artistes. « Les critiques, on les entend, même si c’est parfois violent. Ce sont des arbitrages. L’idée pour nous est d’accueillir des têtes d’affiches internationales sans que les prix des billets explosent. On écoute et on va repenser les choses », expliquait Arnaud Meersseman, le programmateur du festival.

Au moment où il disait cela, le Domaine national de Saint-Cloud vibrait encore de basses, comme un énième appel à la danse.