Mouvman Alé, la boule d'énergie réunionnaise

Franswa Virassamy-Macé du groupe Mouvman Alé, 2022. © RFI/Anne-Laure Lemancel

Aux dernières Transmusicales de Rennes, le groupe Mouvman Alé a proposé sa vision explosive et audacieuse de l'identité réunionnaise : une potion musicale métissée et psychédélique, qui réunit les influences malbar, le hard-rock et le maloya.

Rennes, samedi soir 10 septembre, dans l'un des halls du gigantesque Parc Exposition, où se tiennent chaque année les Transmusicales : au cœur de cette glaciale nuit d'hiver, quatre garçons en habits de lumière – poum poum short doré, robe longue à motifs, étoffes chatoyantes – s'apprêtent à faire rugir les vibrations telluriques de leur bout d'île, à 11000 km de là, La Réunion. Loin, pourtant, de balancer la si reconnaissable tournerie ternaire du maloya, comme le fit, avant eux, aux Trans, le chamane et druide du genre Danyel Waro, le Mouvman Alé électrocute l'auditoire de sa formule inédite.

Il y a, sous leurs doigts et dans leur voix, la ferveur des tambours malbars née des cérémonies indiennes, la rugosité du hard rock et du métal, la magie des incantations, des mots comme des sortilèges, des boucles électros, du maloya... Bref ! Tout un magma bouillonnant, tissé de matériaux hétéroclites. Eux-mêmes désignent leur musique comme une "chanson soft expérimentale réunionnaise" ou une "romans non galisée". Leader et fondateur de cette formation en orbite, Franswa Virassamy-Macé décortique cette expression créole : "Une ‘route galisée', c'est un chemin lisse. À l'inverse, nous forgeons des chansons, des ‘romans' cabossées, abruptes, accidentées..." Pour filer une autre métaphore, le garçon aux interminables cheveux noirs, aux petites lunettes rondes, au verbe coloré, au regard hanté par la flamme vive de son île, explique : "Nous nous amusons à jouer avec cette boule d'énergie réunionnaise... Il y a quelque chose de particulier sur notre île, et c'est cette âme que nous essayons de capter, de renvoyer sur scène... Du moins, d'en proposer notre vision."

En altitude

Loin des cartes postales, l'homme de 45 ans, titulaire d'un diplôme d' "accompagnateur de montagne", un temps Pyrénéen, réside dans les hauteurs de l'île, à la Plaine des Cafres, au 27e km, à 1600 mètres d'altitude, juste aux pieds du volcan. "J'aime le côté extrême, le gel..., raconte-t-il. J'ai appris à apprécier le froid, à déceler la beauté dans les couleurs de l'hiver. J'aime ces vies plus intimistes, inspirantes, nichées dans l'intérieur des maisons, en légers décalages..." Son parcours créatif commence pourtant ailleurs, à Saint-Gilles-les-Haut, là où explosent ses premiers bonheurs, premières souffrances, la connaissance de l'amour et celle de la mort... Ce fils d'un père malbar (hindou) et d'une mère yab (blanche des hauts) reçoit sa première éducation musicale dans les temples tamouls. "Petit, je me souviens avoir ressenti des vibrations intenses, en dansant dans le chemin, accolé aux tambours malbars, dans les processions. Il y avait ce côté transe, psychédélique, mystique, plein de couleurs, de senteurs, qui ouvraient les portes de mon imaginaire", se souvient-il. À l'âge de sept ans, il démarre un apprentissage aux tablas. De cette initiation, de ce goût pour les musiques classiques indiennes, il conserve une affection particulière pour les morceaux longs, étirés, qui naviguent doucement vers l'hypnose. "Dans les musiques classiques indiennes, il y a cette introduction, l'alāp, qui semble parfois fastidieuse, voire ennuyeuse... Mais quand tu écoutes l'intégralité du râga, tu comprends qu'elle comportait toutes les clés nécessaires à la compréhension du morceau, éclaire-t-il. J'espère, modestement, construire ainsi mes créations... J'y cherche aussi la clé d'une certaine identité réunionnaise."

Et puis, à ces racines indiennes, s'ajoutent des influences multiples croisées lors de ses chemins de traverse, lors de ses histoires de vie. Exilé à Bordeaux, dans une école jésuite, Franswa découvre les Pixies, Tom Waits, Rage Against The Machine... Un long séjour à Londres influencera, lui aussi, son arc-en-ciel musical. 

Des chansons qui libèrent 

Et le voici sur son île avec tout un tas de nuances, de rythmes, de textures, de lumières, d'émotions plein les mains, plein le cœur ... Avec cette envie tenace de créer des chansons qui unissent ses vibrations intérieures, de forger des créations qui le soignent, et le libèrent. Après un premier groupe éphémère en 2016, pour donner corps à ses paysages, il trouve enfin la formule définitive de Mouvman Alé, avec Loïc Medoc-Elma (percussions), Baptiste Clément (guitare, basse) et Benjamin Rebolle (clavier,MAO), trois ex-étudiants d'une vingtaine d'années, issues des classes de l'EMA, école de musique de l'île. Ensemble, ils constituent un groupe soudé, selon le vœu de Franswa : "Nous passons énormément de temps ensemble à s'adonner à d'autres activités que la musique : surf, yoga, foot, randonnées, explique-t-il. On cohabite parfois, à la Plaine des Cafres..." Et puis, les trois autres musiciens apportent, à son rêve initial, leurs identités individuelles. Mouvman Alé : tous quatre creusent leur sillon singulier, composent leur propre mouvement... Et qui les aime, les suive ! 

Ces expériences cimentent leur formation, leur son. Et ce soir-là, ce sont bien tous les éléments de La Réunion qui envahissent le Hall 3. Il y a du feu sous leur musique, mais aussi les grondements de l'océan, le souffle du vent, et à coup sûr les murmures des ancêtres... Et aussi des chants d'oiseaux en préambule. En véritable prédicateur, Franswa harangue le public. Tout entier traversé par sa musique, par ses mots, il semble accaparé par une forme de transe, de connexion aux esprits, si fortement présente à La Réunion et dans toutes les musiques de l'île. Si l'on peut parfois regretter un léger manque de recul, un engagement peut-être trop frontal, un soupçon de manque de nuances, le Mouvman Alé enthousiasme pourtant par l'originalité de ses propositions, aussi ancrées dans les racines réunionnaises qu'audacieuses et explosives, actuelles et pertinentes. 

Et puis, il y a cette promesse, résolument tenue. Le groupe joue bel et bien avec cette boule d'énergie réunionnaise, son côté composite, reflet de l'histoire mouvementée du territoire. À coup sûr, les quatre garçons représentent bien cette Réunion nouvelle, affranchie, les deux pieds dans la tradition, mais les ailes déployées aux quatre vents... Et amènent sur scène, avec joie et détermination, ce qui fait la singularité de l'île : les identités multiples, le métissage, le mouvement fructueux de leur "petit péi", ou, comme l'appelle leur illustre aîné, Danyel Waro, sa précieuse "batarsité".

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