Les Victoires de la Belgique

Stromae a remporté le trophée convoité d'artiste masculin de l'année et celui tant attendu du meilleur album de l'année pour "Multitude". © RFI/Edmond Sadaka

Carton plein du plat pays, hier soir, lors de la 38e cérémonie des Victoires de la Musique. Stromae et Angèle ont été plébiscités dans les catégories reines, Pierre de Maere a décroché la révélation masculine. Quant à Orelsan, il a ajouté trois trophées supplémentaires dans sa hotte déjà bien garnie. Indiscrétions et analyse.

Peu importe les décennies (les siècles ?), il y aura toujours cet instant récurrent en coulisses. Celui de voir, avec un talent inné, Jack Lang serrer des louches jusqu’à plus soif malgré l’absence de champagne. Pendant ce temps-là, Pierre de Maere et sa crève carabinée n’ont pas encore tranché définitivement sur la tenue à porter. Chemise ou pas sous le costume Saint-Laurent ? Orelsan s’offre un bain de selfies généreux à l’extérieur. On valide son accoutrement. Il dit : « C’est du Zara… Non, je déconne ». Les soldats des maisons de disque tentent de connaître le palmarès à l’avance. Des langues s’agitent, de vipères pour la plupart, instantanément métamorphosées en « Oh ! Comment tu vas, toi ? » dès qu’il s’agit de sauter au cou de son meilleur ennemi. Entendre aussi : « C’est une photocopie de l’année dernière, les nominations ».  Le doyen s’appelle Grand Corps Malade, 45 ans. Au-delà de cet âge limite, l’académie des votants semble ordonner un grand oust à tous les croulants qui auraient pu prétendre à s’inviter à la fête. Et ce ne sera toujours pas le moment de gloire d’un Florent Marchet, Bertrand Belin ou d’un Stephan Eicher alors que personne n’a aucunement rien à redire sur la qualité remarquable de leur disque respectif. Une autre logique aurait voulu que Lomepal fasse un plébiscite. Sauf qu’il a refusé de s’inscrire et donc d’être éligible (au même titre qu’Indochine et Mylène Farmer).

Les Victoires, c’est aussi et toujours la crainte d’un dérapage de fuseaux horaires (trois heures vingt, comme Titanic !). Ou cette manie harassante d’appuyer à outrance sur les magnétos de la nostalgie. Le suspense, au contraire de la cérémonie, n’aura pas duré. Les noms de Stromae et Orelsan sortent de l’enveloppe à un rythme régulier. Au bilan comptable, fort de douze trophées désormais, le second dépasse Johnny Hallyday et se rapproche à une unité d’Alain Bashung et Matthieu Chedid. Meilleur album de l’année (la question ne se serait pas posée concernant le précédent, Racine carrée) pour Stromae, vraiment ? Ne jamais oublier cette flagrance : qui dit label mastodonte, dont les membres sont autant de votants aux Victoires, dit presque mécaniquement autoplébiscite dans les urnes.

Sinon, on aura vu Juliette Armanet repartir bredouille pour la deuxième année consécutive, Clara Luciani renouveler son abonnement à la case hommage (Après Juliette Gréco et Patrick Juvet, Régine cette fois-ci), Calogero en larmes lors de la remise de la très méritée Victoire d’honneur à Serge Lama la veille de son quatre-vingtième anniversaire, l’ascension fulgurante du flamboyant et créatif Pierre de Maere (révélation masculine), l’atypique Jacques enseveli par une montagne de perruques dans ce qui restera le tableau le plus audacieux de la soirée. Puis, on aura entendu la spontanéité et l’émotion salvatrices d’Ultra November (révélation féminine) : « J’ai 34 ans. On n’est jamais trop vieux, il n’est jamais trop tard. Faites de la musique, peut-être l’année prochaine, c'est vous ici ». Et de terminer son discours par un improbable « Je t’aime Harry Styles ».

Il n’empêche que le vol plané au-dessus de la production musicale hexagonale devrait permettre de célébrer la diversité, d’entrevoir croisements de genre, tendances et perspectives. Toujours pas d’actualité apparemment. On va changer d’air. D’ère ? Cap désormais au mois de mai sur La Flamme, cérémonie alternative organisée par des acteurs de l’industrie du rap s’estimant – à juste titre – sous-représentés aux Victoires.

 

© RFI/Edmond Sadaka
Le chanteur Serge Lama a reçu une Victoire d’honneur, la veille de son quatre-vingtième anniversaire, ce samedi 11 février.

 

Cinq questions à Serge Lama, Victoire d’honneur

RFI : On vous a senti particulièrement ému. Avez-vous savouré le moment ?

Serge Lama : Bien sûr. D’abord, c’est mon dernier soir devant une foule debout, une foule qui semblait m’aimer. Et puis l’arrivée de Calogero a été un moment magique. On a fait deux chansons ensemble, on s’aime beaucoup humainement. Il m’a un peu arraché le trac, tout comme les jeunes qui m’ont rendu hommage en chanson (Mentissa, Elodie Frégé et Santa, chanteuse du groupe Hyphen Hyphen, NDLR). Mentissa était tellement mignonne, tellement fragile que j’avais envie de la porter. On ne pense plus à soi ou à avoir peur. Mon fils m’avait dit : « Papa, tu prends ! ». Alors, je lui ai obéi et j’ai pris.

Auriez-vous néanmoins aimé être récompensé auparavant ?

Non, c’est le bon moment. Je m’en vais et j’ai une Victoire. C’est le couronnement d’une carrière, de soixante ans de métier. Même plus, puisque j’ai toujours voulu faire ça, depuis l’âge de onze ans précisément, lorsque je suis allé voir Gilbert Bécaud.

Est-ce facile de reprendre du Serge Lama ?

Je suis malade est une chanson difficile à tous les niveaux. En termes de tessiture, si vous ne la chantez pas assez haut, elle perd tout son sel. Et au niveau de l’interprétation, si vous y mettez l’intention, vous pouvez, après, pratiquement tout chanter. C’est pour ça, aussi, que c’est devenu une chanson de concours.

Sur votre dernier album, il y a une chanson qui s’appelle Demain est à nous. À quoi va ressembler demain maintenant pour vous ?

J’ai beaucoup de projets dont je ne peux pas trop parler. L’un d’eux sera d’écrire ma bio. Et puis si on me demande une chanson, je la ferai volontiers.

Ne pas avoir fait une tournée d’adieu, ça restera un regret ?

Bien sûr. La tournée était déjà programmée, mais le Covid a tout foutu en l’air. Je voulais notamment saluer les régions, la Belgique, la Suisse. Il ne faut pas oublier que c’est la province qui m’a fait. Ensuite, quand c’est reparti, je n’avais plus physiquement les moyens de faire ce que je voulais sur scène. Il n’était pas question pour moi de chanter assis.

 

Le palmarès des 38e Victoires de la Musique

Artiste masculin : Stromae
Artiste féminine : Angèle
Album : Multitude, Stromae
Chanson originale : La quête, Orelsan
Révélation masculine : Pierre de Maere
Révélation féminine : November Ultra
Concert : Civilisation Tour, Orelsan
Création audiovisuelle : La quête, Orelsan
Album masculin le plus streamé : Jefe, Ninho
Album féminin le plus streamé : Nonante-Cinq, Angèle