Théâtre musical, quand la musique arrive sur les plateaux
Thomas Fersen dans un monologue en vers plein de chansons, une compagnie de théâtre musical pour la chanteuse Claire Diterzi, ou un spectacle qui raconte comment Jacques Higelin a bouleversé une vie. La musique s’invite plus souvent qu’à son tour dans les théâtres. Mais derrière la formule "théâtre et musique" se cache en réalité une multiplicité de spectacles et de formes artistiques.
Quand Thomas Fersen retrace le chemin qui l’a conduit de la chanson jusqu’à ce spectacle théâtral, il parle du parcours du Petit Chaperon rouge jusqu’à la maison de sa grand-mère. Ce travail l’a amené à déclamer un texte de chanson dans l’un de ses spectacles, à glisser des "monologues en vers" dans ses concerts, et finalement à mettre de plus en plus de ces interventions entre ses chansons. C’est quand il a collecté ces textes qu’il a eu l’idée d’écrire un livre, Dieu sur terre, qu’il porte à la scène.
Dans ce spectacle intitulé Mon frère, c’est Dieu sur terre, le chanteur s’invente un frère imaginaire. Il raconte la naissance de sa vocation de chanteur à Pigalle, le quartier de la musique et de l’amour à Paris. On y retrouve sa drôle de fantaisie et ses personnages. "C’est parce que j’incarnais mes personnages que j’en suis venu à dire mes textes en musique, explique-t-il. Ce sont des choses que je faisais dans ma chambre quand j’étais enfant. Je fermais la porte, je mettais de la musique, et je jouais. J’inventais des histoires qui découlaient des westerns ou des séries B, les films que je voyais au cinéma."
Thomas Fersen partage la scène avec trois musiciens, une violoniste, une accordéoniste et un guitariste. Il alterne entre son monologue et des chansons extraites de son répertoire, comme Les Papillons, Monsieur, Hyacinthe, ou sa chère Louise.
Un genre hybride, des formes variées
Proche de la comédie musicale ou ayant pour thème la vie de grands musiciens, le théâtre musical recoupe des formes très variées. Ancien directeur du théâtre de Montreuil, Mathieu Bauer parle plutôt de "théâtre et musique". "Les Anglais ont la comédie musicale, les Allemands ont le sprechgesang, et les Français sont dans une forme hybride", constate-t-il. Comme les metteurs en scène David Lescot ou Marc Lainé, Mathieu Bauer a ancré la musique au théâtre.
Avec sa compagnie des Tendres Bourreaux, le metteur en scène et batteur joue avec son groupe de rock expérimental sur scène. À l’image de son dernier spectacle, Paléolithique story, qui retrace l’histoire de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, il fait dialoguer des textes de philosophes, d’essayistes, ou d’anthropologues, avec de la musique. "Heiner Müller (Poète et dramaturge allemand, NDLR) avait cette petite phrase que j’aime bien : ‘Quand tout a été dit, la musique peut commencer.’ La musique créée un espace pour l’imaginaire du spectateur. À partir d’un moment, les mots ne suffisent plus, la musique peut prendre le relais. Ce qui m’a amené à réfléchir à l’émotion", glisse-t-il.
Lorsqu’il a imaginé son spectacle théâtral, Thomas Fersen a gardé en tête "qu’un chanteur reste un chanteur, et qu’un acteur reste un acteur, même quand il fait un disque". Qu’est-ce que cela change d’être pour lui sur les planches ? "Le rapport au public est différent. Quand on fait de la chanson, on va vers le public, et quand on fait du théâtre, on aspire le public vers le plateau pour l’amener dans sa chambre", explique-t-il.
Pour Mathieu Bauer, la musique et le texte sont devenus indissociables. "En France, on demande aux acteurs de prendre en charge beaucoup de choses, le sens, le rythme, les émotions. Mettre de la musique les décharge aussi. Il suffit parfois d’une note ou de quatre accords pour faire passer une idée", précise-t-il.
Travailler en compagnie de théâtre
Autrice, compositrice, guitariste et metteuse en scène, Claire Diterzi a été parmi les premières chanteuses à s’être trouvé une vraie place dans les théâtres. En 2015, elle a fondé sa compagnie de théâtre musical, Je garde le chien, ce qui lui permet de piloter sa carrière de A à Z. "Être chanteuse ‘pop’ implique que tu es dépendante de l’industrie musicale. Ton parcours est très formaté. Tu sors un disque, tu fais la promo, une tournée, et tu passes deux ans à écrire de nouveaux morceaux. Il y a des partenaires privés, une maison de disques, un tourneur, un éditeur, décrit-elle. Les rencontres avec Philippe Decouflé ou Martial Di Fonzo Bo ont été fondamentales, parce que ce que j’ai vu des gens qui fonctionnent en compagnie."
Aujourd’hui, elle fait tourner avec sa compagnie trois spectacles en même temps, un concert à table qu’elle donne en duo, une création, De Béjaia à…, autour de ses origines kabyles, et un opéra pour enfants, Puisque c’est comme ça je vais écrire un opéra toute seule, qu’elle a écrit et mis en scène. Avec ce fonctionnement, l’ancienne résidente de la Villa Médicis estime avoir gagné "la liberté d’avancer, de produire ses spectacles, et de faire vivre son répertoire", tout en ayant des temps de création suffisants.
Sa compagnie est aujourd'hui conventionnée avec la DRAC (direction régionale des affaires culturelles), subventionnée par la région Centre-Val-de-Loire, la ville de Tours et travaille avec des théâtres partout en France. En interne, elle a une administratrice et une chargée de diffusion, un modèle économique proche de celui du théâtre public français.
Cette idée de liberté et d’émancipation traverse toute la pièce Et si je n’avais pas jamais rencontré Jacques Higelin. Dans ce seul en scène, le comédien Zoon Besse raconte comment un chanteur, Jacques Higelin, et sa musique ont bouleversé la vie d’un homme et de sa petite bande de copains.
Pour son metteur en scène, Guillaume Barbot, qui signe son quatrième spectacle sur de grands chanteurs*, "le plus important dans le travail est que la musique ne soit pas là pour illustrer le propos, mais plutôt dialoguer avec l’acteur". Pour ce spectacle sur Higelin, le mariage est réussi tant ce spectacle biographique nous donne envie de découvrir l’œuvre de feu "Jacquot" comme de franchir les portes des théâtres.
* Guillaume Barbot avait déjà consacré des spectacles à Serge Gainsbourg, au "club des 27", ces grandes figures du rock mortes à 27 ans, et un autre spectacle à Charles Trenet.
Les spectacles cités :
- Mon frère, c’est Dieu sur Terre, de Thomas Fersen, en tournée dans toute la France.
- De Bejaïa à…, de Claire Diterzi, en tournée dans toute la France.
- Paléolithique Story, de Mathieu Bauer.
Mathieu Bauer présentera son spectacle Femme capital, au festival d’Avignon du 6 au 27 juillet.
- Et si je n’avais jamais rencontré Jacques Higelin, avec Zoon Besse, sera présenté dans le off du festival d’Avignon.
Le site de Thomas Fersen / Facebook
La Compagnie des Tendres Bourreaux, de Matthieu Bauer
La compagnie Je garde le chien de Claire Diterzi
La compagnie Coup de poker, de Guillaume Barbot