Rock en Seine a soufflé ses vingt bougies

Christine and the Queens, sur la scène de la 20e édition du festival Rock en Seine, à Saint-Cloud, le 25 août 2023. © Louis Comar

L’édition du vingtième anniversaire du festival, qui s’est terminée hier au Domaine national de Saint-Cloud, a rassemblé selon les organisateurs 144 000 spectateurs en quatre jours. Parmi les artistes français à l’affiche, Christine and the Queens a livré une prestation à la fois radicale, novatrice, déconcertante et mystique.

Il faudra s’y faire : Rock en Seine ne ressemblera jamais plus à la configuration dans laquelle on avait toujours connu le rendez-vous francilien et qui prônait l’expérience collective, logeant tous les festivaliers à la même enseigne. L’an dernier, la disparation du tarif unique au profit de multiples offres pour accéder à différentes prestations dont un accès au Golden Pit (un carré or en devant de scène, protégé par un enclos) moyennant vingt euros supplémentaires avait suscité un tollé.

Malgré des commentaires désabusés, voire rageux sur les réseaux sociaux et une presse sévèrement critique sur le procédé en question, les organisateurs n’ont visiblement pas daigné faire machine arrière pour cette édition. Si l’appellation Golden Pit a disparu, elle a été remplacée au prix de 105 euros la journée par le "Garden" (fosse réservée à proximité de la scène, bar et toilettes privés, espace détente, accès Wifi), une zone peut-être un chouia moins visible mais qui donne toujours un sentiment malaisant de séparation des classes.

Une affiche internationale

Au-delà de ces considérations pratiques, la manifestation - rendue célèbre par la double annulation d’Amy Winehouse et la fameuse bagarre entre les frères Gallagher scellant la fin du groupe Oasis – a cette fois-ci seulement dû gérer le forfait de Florence and the Machine pour des raisons de santé. Elle a été remplacée presque au pied levé par Cypress Hill, collectif de rappeurs américains auteur ici d’une prestation puissante.

Parce qu’on n’a pas tous les jours vingt ans, Rock en Seine s’est surtout accordé le luxe de se payer la star Billie Eilish (cachet estimé à 1,5 million d’euros) au cours d’une journée exclusivement féminine et isolée en plein milieu de la semaine. Sinon comme à l’accoutumée, ce sont des artistes à la renommée internationale tels que The Strokes, The Chemical Brothers, Placebo (si peu généreux pourtant sur scène) ou les sensations Fever Ray (grosse claque) et Charlotte de Witt qui se sont taillés la part du lion au sein de la programmation des trois autres journées en enfilade.

Côté francophone, Christine and the Queens était attendu de pied ferme. Celui qui réclame qu’on le genre désormais au masculin, et qui s’est exaspéré de la confusion encore commise ici et là lors d’une vidéo postée à bout de nerfs cet été, a perdu indéniablement une partie de son fan-club presque dix ans après sa consécration avec son premier album Chaleur humaine. Trop de changements de nom (il s’est fait appeler successivement Chris, Rahim, Redcar puis à nouveau Christine and the Queens), trop de virages artistiques et d’allers-retours entre le français et l’anglais.

La prestation mystique de Christine and the Queens

Que nous a-t-il réservé au Domaine national de Saint-Cloud ? Une messe à l’ambiance obituaire et voluptueuse comme dans un enterrement de première classe. Une performance mystique, entrecoupé de divers laïus troublés et troublants, plutôt qu’un concert traditionnel. Il laisse rapidement tomber le gilet au dos de velours rouge pour chanter le buste dénudé et les tétons recouverts de scotch. Encerclé des statues antiques qui servent de décor, il danse avec une aisance confondante. Un chant magnifiquement perché à en faire chatouiller les cieux au milieu d’entrelacs rythmiques et d’infrabasses. Peut-être croit-on percevoir des références aux "Ailes du désir" de Wim Wenders ou à "Angels in America", la pièce de théâtre de Tony Kushner.

Le parti pris est radical et jusqu’au-boutiste, pas nécessairement en phase avec un festival puisqu’il s’appuie uniquement sur des chansons tirées de son dernier disque Paranoïa, Angels, True Love. Public sans surprise divisé : envoûtement et fascination pour les uns, agacement et abandon de poste pour les autres.

Le seul point commun entre Christine and the Queens et Bertrand Belin, qui l’aura précédé plus tôt dans l’après-midi du vendredi sur la scène principale, aura été de s’adresser aux festivaliers en employant le terme "camarades". Huit morceaux qui s’étirent et impeccablement exécutés par le dandy crooner – en tête le merveilleux Oiseau –, une présence folle, un groupe à l’unisson, des harmonies d’une classe étincelante. Belin est définitivement un chanteur de printemps et d’hiver, d’été et d’automne. Personne ne trouverait à s’offusquer si les Victoires de la musique osent enfin le consacrer comme il le mérite.

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