Les forces de la nature de Naïssam Jalal
En perpétuel recherche de spiritualité face à un monde à la dérive, la flutiste franco-syrienne signe un nouvel opus Healing rituals. Huit pièces instrumentales enregistrées en quartet en forme de prières animistes dédiées à la nature . Fidèle à son esthétique jazz oriental, Naïssam Jalal a été nominée aux Victoires du jazz cette année. Rencontre à l'occasion de son concert parisien ce jeudi au Studio de l’Ermitage à guichet fermé.
RFI Musique : vous signez un neuvième album intitulé Healing rituals (rituels de guérison). Ce nouvel opus vous a été inspiré par vos immersions en milieu hospitalier. Quelle relation particulière entretenez-vous entre votre musique et la thérapie?
Naïssam Jalal : je ne suis pas musico thérapeute mais je crois au pouvoir de guérison de la musique parce que j’en ai fait l’expérience dans mon corps. Et puis j’en fait l’expérience à chacun de mes concerts depuis dix ans lorsque des personnes du public viennent me voir à la fin pour me confier qu’elles ont pleuré et que ça leur a fait du bien. La musique soulage, la musique soigne.
Votre album se décline sous forme de huit rituels s’articulant autour des éléments de la nature : rituels de la terre, de la lune, du soleil etc. Le rapport à la nature est primordial pour vous?
N. J. : oui ! La nature nous offre un repos paisible, une énergie régénératrice et un enseignement silencieux. Les collines nous rappellent que notre place est minuscule et éphémère, la rivière qu’il faut laisser couler, que tout passe même les pires tumultes. La forêt abrite différentes espèces sans que l’une soit plus légitime que l’autre, la brume voile et dévoile, le soleil nous réchauffe, la lune nous éclaire dans les ténèbres…
Peut-on faire un parallèle entre vos rituels proposés et les musiques animistes des Gnaouies du Maroc avec les lilas symbolisées par des couleurs?
N. J. : je m’en suis beaucoup inspirée. J’ai puisé dans l’imaginaire animiste le lien avec les éléments de la nature comme dans les rites ancestraux lorsque les chamanes s’adressent aux esprits de la nature. L’imaginaire habite profondément la musique Gnawa en plus de sa dimension islamique.
Mise à part la flûte, il y a aussi des parties ou vous mettez en avant votre côté vocaliste avec certain passage ou le cri est prépondérant. Je pense au titre Rituel de la lune. C’est pour renforcer l’expression de la douleur j’imagine?
N. J. : le cri libère. Il n’y a pas de guérison sans libération.
Comment s’est construit le dialogue avec votre nouveau quartet composé du violoncelliste français Clément Petit, du contrebassiste franco-arménien Claude Tchamitchian et du batteur brésilien Zaza Desiderio?
N. J. : les rituels sont très écrits. Il a fallu beaucoup de temps pour que cette écriture soit assimilée et digérée par le quartet. C’est une musique extrêmement exigeante et je suis honorée et pleine de reconnaissance à l’égard de ces musiciens magnifiques qui ont su la faire exister pleinement.
Vous avez été distingué parmi les cent femmes de culture de l'année par l'association Femmes de Culture au Palais de Tokyo à Paris récemment. Que représente pour vous le fait de faire partie de ces lauréates francophones?
N. J. : il est important que notre existence soit reconnue car nous sommes trop souvent invisibles dans le milieu de la culture et dans tous les domaines en général. Si nous voulons que les choses évoluent, il ne faut pas seulement agir pour le changement mais aussi pour qu’il soit visible afin de permettre aux filles et femmes des générations futures d’avoir des modèles dans lesquels se projeter.
Vous êtes en concert au Studio de l’Ermitage devant votre public parisien. Vous tournez énormément que ce soit aux Etats-Unis au Canada, en Europe, au Maghreb et même en Inde. Y-a-il des publics plus réceptifs que d’autre à votre proposition musicale?
N. J. : je reçois un accueil enthousiaste partout et j’en suis honorée. Les gens ne sont pas plus ou moins sensibles, ils sont juste plus ou moins démonstratifs. J’aime le public parisien parce qu’il est très métissé et j’apprécie le Studio de l’Ermitage parce que je m’y sens comme à la maison.
CD Vinyles Healing rituals (Les Couleurs du son/Métisse Music/L'Autre Distribution/RFI Talent)