Sia Tolno, l’Afrique volcanique

Avec la chanteuse Sia Tolno et son nouvel album My Life, la politique culturelle de l’authenticité qui a longtemps prévalu en Guinée semble définitivement jetée aux oubliettes. Au carrefour d’influences transcendant la sphère mandingue et puisant dans les musiques des pays anglophones voisins, la récente lauréate du prix Découvertes RFI se joue malicieusement de toutes les frontières. Elle est en concert le 13 octobre à l'Alhambra à Paris.

Lorsqu’elle se décide à présenter sa candidature pour la première édition d’AfricaStar, la Star Ac panafricaine qui doit débuter en mai 2008 au Gabon, Sia Tolno écoute surtout cette voix intérieure qui lui répète qu’elle doit encore chercher son chemin. Lucide, la Guinéenne trentenaire prend le risque de se faire éventuellement recaler aux présélections nationales, elle qui a déjà obtenu un Djembé d’or dans son pays avec son premier album paru en 2002. Tant pis pour les remarques connotées de ceux qui s’étonnent de la voir concourir, tant pis si l’émission est d’abord destinée aux artistes plus jeunes – après tout, il suffira de modifier son âge de quelques années dans sa biographie destinée aux téléspectateurs !

La musique est sa vie, et vice versa, mais pour assurer le quotidien elle se fait vendeuse d’huile rouge en Gambie, ou bien sèche et sale le poisson qu’elle envoie en Europe… Elle sait qu’il faut un coup d’accélérateur pour que sa carrière puisse réellement décoller. Son intuition ne tarde pas à se révéler exacte. Sur les plateaux de télé à Libreville, elle dévoile un savoir faire qui lui permet de s’approprier, avec autant d’aisance que de justesse, des tubes tels que Conga de la star latino Gloria Estefan.
 
Rien de mieux que l’école des cabarets pour apprendre à devenir chanteuse, “à gagner l’attention des clients”. Sia l’a fréquentée avec assiduité auparavant, à Conakry. Reprendre Piaf, toujours présente aujourd’hui dans son répertoire, Nina Simone, Miriam Makeba et bien sûr Whitney Houston, la diva dont la puissance vocale a servi de référence à tant de chanteuses de sa génération. “Ça m’a forgée”, reconnait-elle.
 
Si elle termine quatrième du classement d’AfricaStar, elle repart avecl’assurance d’enregistrer un album de calibre international. Séduit par les prestations qu’elle a données lors des prime time, Pierre Akendengué, figure éminente de la musique gabonaise, a fait jouer son carnet d’adresses et appelé le producteur de Cesaria Evora, José Da Silva. Celui-ci confie à l’acolyte de longue date de Salif Keita, Manfila Kanté, récemment disparu, le soin d’amener à maturité les morceaux de la jeune femme. L'album sorti en 2009, Eh Sanga, ne lui correspond pas tout à fait, car elle ne se retrouve pas dans la culture mandingue de son réputé tuteur puisque ses origines à elles se situent davantage dans le Sud-est de la Guinée, au coeur d’une autre aire d’influences.
 
Un passé douloureux
 
Mais l’album clarifie la situation à de nombreux égards pour elle. Sur le plan artistique, d’abord. Sur le plan personnel, ensuite. En venant enfin la voir jouer sur scène en Guinée, le père de Sia a compris qui était sa fille et a même versé quelques larmes. “Avant, on n’était pas amis”, résume-telle avant de se réjouir que la situation ait changé, qu’un dialogue soit désormais possible. Pour le qualifier, elle décrit pudiquement un homme “dur”, “sévère” et l’expression qui se lit tout à coup dans ses yeux laisse deviner que les mots sont peut-être en deçà de la réalité.
 
Pour ce prof de français installé en Sierra Leone, les enfants devaient être en permanence le nez dans leurs livres. Le calme absolu devait régner à la maison. On n’écoutait pas de musique. Pas plus qu’on n’avait le droit de rire à pleins poumons. Le moule n’était pas du tout adapté à la personnalité de Sia. A Freetown où se déroule toute son enfance, elle se réfugie dans l’écriture. Et fait aussi beaucoup de théâtre.
 
Son école la choisit, alors qu’elle a 14 ans, pour interpréter l’hymne sierra-léonais lors d’une manifestation à laquelle participent les officiels du gouvernement. L’excitation qui l’anime disparait soudain dès qu’elle prend conscience de la présence de la foule. Seule, en a cappella, elle se met à trembler jusqu’à la dernière parole. “J’ai failli mourir”, se souvient-elle. Sa première expérience au micro, en public, lui vaut des félicitations qu’elle prend comme des encouragements.
 
En Guinée, où elle revient périodiquement le temps des vacances, elle découvre le travail dans un studio d’enregistrement en suivant des cousines qui préparent leur album puis s’envolent vers les États-Unis. Choriste, elle prend petit à petit de l’assurance, réalise aussi à quel point la musique la “soulage”. Un moment à part, autant pour oublier que pour exprimer.
La guerre civile en Sierra Leone a bouleversé son existence et sa vision du monde, de l’humanité, de son continent. Le zouk love doudouisant de son premier album, La Voix de la forêt, n’était qu’un baume superficiel, un moyen de célébrer la vie, de se forcer à voir ce qui peut être beau. Depuis, elle a apprivoisé ce passé douloureux, en a extrait une force irradiante davantage en adéquation avec sa nature musicale sur son nouveau disque My Life, quelque part entre Fela et Makeba.