Le Kora Jazz Band, du trio au band
Après trois albums en trio, le Kora Jazz Band double son effectif et accueille en son sein, Manu Dibango, Andy Narell et Omar Marquez. Un album endeuillé par la disparition du joueur de kora Soriba Kouyaté quelques jours après la fin de l’enregistrement.
C’est à l’Ouest de l’Afrique, à Dakar qu’est né le Kora Jazz Trio, un ensemble initié par Abdoulaye Diabaté. "Je dirigeais à l’époque l’Orchestre national du Sénégal fort de 66 musiciens" se souvient le pianiste, qui déjà très attiré par le jazz n’hésitait pas à passer ses nuits arrimé au piano d'un grand hôtel. "Le jazz n’était pas directement mon univers, je jouais en répétant ce que j’avais entendu. Je ne pense pas que je comprenais tout des notions d’harmonie, de contrepoint ou d’improvisation avoue-t-il. Ce n’est que plus tard, lorsque que j’ai décroché une bourse française pour intégrer le cycle pro du CIM* à Paris que j’ai pu aller au fond des choses."
Cet enseignement dirigé par l’organiste, pianiste et compositeur Emmanuel Bex consolide les acquis du pianiste, fils d’un balafoniste et d’une griote. "A Dakar, avec Soriba Kouyaté, par jeu, on reprenait des thèmes de Charlie Parker ou d’autres grands noms de cette musique comme Coltrane ou Chick Corea, On déchiffrait à deux, puis c’était une sorte de défi."
L’émotion, le chagrin est perceptible quand Abdoulaye évoque Soriba. Le joueur de kora, décédé il y a un an, quelques jours après la fin de l’enregistrement, et le pianiste étaient deux amis, "deux frères" précise Abdoulaye Diabaté. "Mon père jouait avec son père. Mes deux grandes sœurs sont mariées avec ses deux oncles. C’est mon père qui a convaincu le sien de le laisser jouer la kora, car ce dernier lui interdisait. Quand j’écoute le disque, il me dit au revoir. Il avait le pressentiment de son départ. Souvent, il me disait : 'Si, on ne se voit pas, tu pourras faire ça pour ma mère… '. C’est pourquoi ce disque lui est entièrement dédié."
Afrique et jazz
Simple jeu, défi entre musiciens virtuoses ou consanguinité affirmée entre musiques de traditions d’Afrique de l’Ouest et jazz ? Pour le pianiste, la filiation entre ces répertoires est naturelle : "C’est au contact des musiciens de l’Orchestre national du Sénégal, au contact des meilleurs instrumentistes du pays, que j’ai pu mettre en évidence les liens qui unissent des deux musiques. Le kamele ngoni, la harpe-luth des jeunes Peuls du Wassoulou, se joue sur un mode pentatonique. Le xalam, petit luth d’Afrique de l’Ouest libère des harmonies jazz. C’est évidemment une musique qui sonne à nos oreilles. En même temps, il est difficile de faire acheter un disque de Thelonious Monk à nos parents reconnaît-il. C’est pourquoi, il nous a semblé primordial de créer des ponts, de permettre par exemple à travers les sonorités de kora bien connues chez nous, l’appropriation de ce répertoire qui est au final très lié à notre patrimoine. Le Kora Jazz n’est que ça !"
Du trio au band
Abdoulaye Diabaté aime l’instantanéité du jazz, son bouillonnement. "C’est quelque chose qu’on retrouve aussi dans les musiques de chez moi. On enregistre en trois quatre jours, l’aspect live est primordial, l’idée de rencontre aussi" commente–t-il. Une idée qui cette fois-ci a poussé le leader à inviter quelques amis en studios. "Manu Dibango, c’est une vieille histoire. Dès le premier album, il voulait faire quelque chose avec nous. Alors cette fois-ci, je l’ai sollicité, mais pas au sax, au marimba. Peu de gens le savent, mais Manu est un grand joueur de marimba. Je lui ai proposé All Blues de Miles Davis. En une heure à peine, c’était dans la boîte."
Rapidité et efficacité. Il en sera de même avec Andy Narell et son steel pan. "Andy, je l’avais découvert à la radio sénégalaise. Les sonorités métalliques de son instrument m’avaient impressionnées. J’avais envie de faire quelque chose avec. J’ai pensé à Oyé Como Va de Tito Puente, un titre sur lequel le joueur de timbales Omar Marquez nous a rejoint. Omar, je l’avais rencontré par le biais d’Africando lors d’un remplacement au Gabon. C’est aussi la vie de musiciens. C’est sûr qu’à trois on était fort, mais à 6, on est plus fort encore" lâche-t-il. Une force qui transcende cette dizaine de plages. Remarquable !
En concert le 20 octobre au New Morning (Paris), puis dates en Guyane, à Dakar, au Canada, en Israël en trio ou avec les invités.
*Ecole de jazz parisienne