Le grand concert de Noël de King Mensah
Pour la seconde année consécutive, le chanteur togolais King Mensah s’offre le stade de Kégué à Lomé afin de passer le dernier dimanche de décembre avec son public. L’occasion de célébrer également le quinzième anniversaire de sa carrière.
"Je me suis dit qu’il fallait que ça devienne un rendez-vous chaque année, pour faire la fête. C’est une façon de se retrouver, de remercier Dieu, tes amis, et de passer un bon moment ensemble", confie King Mensah pour justifier l’organisation d’un nouveau concert au stade de Kégué à Lomé, le jour de Noël.
L’an dernier, quand il avait eu l’idée de monter un tel événement dans ce lieu où seules les stars internationales jusqu’à présent se produisaient, cela relevait presque du défi. Avait-on déjà vu un artiste togolais rassembler près de 25 000 personnes ? Lorsqu’il est monté sur scène, que l’enceinte plongée dans l’obscurité s’est soudain rallumée, il a compris qu’il y était parvenu. En 2011, il compte aussi mettre sa prestation aux couleurs d’un anniversaire particulier : ses quinze ans de carrière. "Mon cadeau à moi sera de me retrouver avec vous ce jour là", écrit-il dans le communiqué en forme de lettre manuscrite qu’il a rédigé pour l’occasion, sans lésiner sur les bons sentiments : "S’il est vrai que j’ai été inspiré dans mes créations artistiques, cela n’aurait eu aucune valeur si vous n’aviez accepté de partager ces œuvres avec moi. Cela n’aurait eu aucune valeur si vous n’aviez été présents lors de mes concerts et de mes apparitions sur les différentes scènes que j’ai eu le plaisir de vivre avec vous."
Jouer pour ceux qui sont “de l’autre côté”
A tout juste 40 ans, Ayaovi Mensah ne démérite pas ce titre de "King" qu’il s’est attribué, couronné par ce timbre à son effigie émis en novembre par la poste togolaise. S’il est devenu l’un des principaux personnages du paysage musical national, il s’illustre également sur le terrain, servant de multiples causes sociétales. "Vous êtes, King Mensah, l’exemple vivant qu’un homme qui sonne vrai produit une musique qui sonne juste"”, a rappelé – avec l’emphase propre à l’exercice – l’ambassadeur de France au Togo en remettant à l’artiste les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur, au mois de mars dernier.
Chaque 12 août, jour de son anniversaire, il se fait fort de jouer en prison pour ceux qui sont "de l’autre côté". La première fois, c’était en Guyane, dans les années 1990. Il a aussi monté deux centres d’accueil d’orphelins après être revenu vivre au pays, au cours de la décennie suivante. Le souvenir du jeune garçon qu’il était, obligé de travailler pour payer les frais de scolarité après la disparition de son père, ne l’a jamais quitté. "Quand les gens souffrent, je comprends. Pas la peine de m’expliquer. Avoir faim, je sais ce que ça veut dire", se contente-il de préciser. On l’a vu aussi récemment jouer pour les Ivoiriens réfugiés dans son pays, en raison de la crise politique qui a déchiré le leur, et reverser les fonds récoltés au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
La Côte d’Ivoire occupe une place particulière dans son parcours : pendant deux ans, il a vécu au village Ki-Yi d’Abdijan, cette communauté d’artistes fondée par la Camerounaise Were Were Liking en 1985 et qui fait figure de pépinière de talents, toutes disciplines confondues. "Avant, je ne connaissais que le Togo. Là-bas, j’ai appris l’Afrique", assure King Mensah, homme de théâtre autant que chanteur. Cette vision qui passe outre les frontières nourrit sa conception de la musique : il la qualifie d’"inspiration traditionnelle", enracinée dans cette culture du village apportée en ville par un père conteur d’histoires, mais a enregistré ses six albums à Paris.
Le "Ghatobéen"
Pour lui, la capitale française, où il a passé près d’une décennie, "regroupe les meilleurs musiciens africains", et il y a trouvé une équipe multinationale qui a l’a "compris" : le batteur camerounais Valéry Lobé (disparu en 2009) et son homologue Cyril Atef, le bassiste Pascal Teillet… "A mes tout débuts, il n’y avait pas de Togolais qui jouait avec moi", commente-t-il. La situation a changé : sur le dernier album en date, intitulé Da, les arrangements sont dus à un de ses compatriotes guitariste, Amen Viana. Invité sur un des morceaux, le collectif congolais Bisso Na Bisso apporte cette dimension panafricaine chère à King Mensah. "Je suis Africain et je viens de la province du Togo", s’amuse-t-il à dire, quand il ne se présente pas en tant que "Ghatobéen", venant du Ghana-Togo-Bénin : "Ces Etats sont tellement collés que tu ne sais pas quand tu as passé la frontière."
Trop longtemps, à ses yeux, les musiciens de son pays se sont contentés de regarder et reproduire ce qui se faisait ailleurs. Depuis quinze ans, il essaie d’impulser une dynamique davantage en lien avec ses origines.