Air dans la Lune
Le duo Air a composé la bande originale d’une version colorisée inédite du Voyage dans la Lune de Georges Méliès (1903). Une jungle de sons aux ambiances psychédélique, enregistrée en un mois, avant la présentation du film lors du dernier Festival de Cannes.
RFI Musique : Comment a débuté ce Voyage dans la Lune ?
Nicolas Godin : Les Fondations Gan et Technicolor, qui ont financé la restauration de ce film, et Lobster Film, souhaitaient une musique moderne pour ce film. Un peu comme le voulait Méliès, finalement, dont la seule indication qu’il avait donnée était de passer la musique du moment. Ils recherchaient donc un groupe du moment, français, ayant une expérience de la musique de film, et obsédé par la lune… suivez mon regard ! (rires)
Êtes-vous toujours dans la lune depuis Moon Safari ?
Jean-Benoît Dunckel : Oui ! Nous sommes dans la lune, dans l’absence de gravité, le lâcher-prise, dans la planerie sonore mais aussi dans le divin et la spiritualité. Dans le film, il y a une sorte de Dieu qui apparaît. Nos deux univers collaient bien et nous aimons les histoires lunaires. Le titre de notre premier album, Moon Safari, venait d’une nouvelle du livre de science-fiction Chroniques Martiennes de Ray Bradbury.
Étiez-vous intimidés par ce classique du cinéma ?
Nicolas Godin : On ne connaissait rien de Méliès, seulement la célèbre image de la lune avec une fusée dans l’œil… Beaucoup de cinéphiles sont fascinés par ce film, mais il faut bien avouer que ce n’est pas évident de captiver le spectateur avec un film un peu obsolète et kitsch. On se demandait ce qui pouvait coller sur ce film, qui est daté, burlesque. Et nous voulions que tout le monde soit captivé par ce film, pas seulement les amoureux de Méliès. Le défi de la musique était là.
Quels sentiments vous a inspiré la vision de ce film la première fois ?
Nicolas Godin : Un sentiment assez horrible ! Les astronautes arrivent sur la lune, ils combattent les "aliens", détruisent tout, ils les ramènent sur terre, leur plantent des banderilles et se moquent d’eux. C’est très cruel, je ne crois pas que c’était le but, c’était la mentalité des gens de 1902 par rapport aux populations des colonies. Un sentiment de tristesse aussi, avec cette lune qui saigne, la fusée dans l’œil. Cela fait écho aux désastres écologiques actuels dans le monde. Dans ce film, on voit ce que l’Homme est capable de détruire. Ces sentiments nous ont aidés à composer quelque chose de plus intemporel et à puiser des émotions. Nous n’avons pas voulu réaliser une musique de film comique.
Le premier titre, Astronomic Club est assez nonchalant, avec des voix trafiquées et des barrissements…
Nicolas Godin : Les astronomes sont dans une cathédrale assez massive, on voulait une musique tout aussi massive. Cela faisait longtemps que l’on souhaitait utiliser les timbales, nous n’avions jamais osé sur aucun de nos précédents albums. Là, c’était l’occasion. Le chaloupement des timbales rappelait celui des éléphants dans le Livre de la Jungle. Comme il y a un peu une jungle dans le film, nous avons créé comme une jungle de sons.
Avec des titres comme Lava ou Cosmic Trip, on n’est pas très loin de The Dark Side of the Moon*…
Jean-Benoît Dunckel : Ce film est psychédélique à fond ! La colorisation, l’espace, les champignons géants…Musicalement, le psychédélisme ce sont des hallucinations sonores, des effets, des répétitions, des delays, des filtres, des superpositions d’univers différents.
Vous avez composé de la musique pour trois films de la réalisatrice américaine Sofia Coppola. En quoi ce travail pour un film muet était-il différent ?
Jean-Benoît Dunckel : Un film muet laisse toute la place à la musique, du début jusqu’à la fin. L’oreille peut se fixer sur une histoire racontée par la musique. Le montage n’allait pas changer, nous pouvions travailler sur le matériau définitif.
Nicolas Godin : Avec Sofia, nous recevions des rushes des scènes tournées, à partir desquels nous composions de la musique qu’elle plaçait où elle voulait. Puis il fallait trouver un thème que l’on entend durant tout le film, comme dans un James Bond. Alors qu’avec ce film de Méliès, chaque scène a son propre thème, la répétition aurait été ennuyeuse, elle serait tout de suite entendue.
Ce projet pourrait-il être transposé sur scène ? Dans le cadre d’un ciné-concert Méliès par exemple ?
Nicolas Godin : Je ne sais pas. Ce film est tellement un maître étalon que l’on n’aura pas trop envie de composer pour d’autres films muets. Cela ferait un ciné-concert un peu court ! On pourrait peut-être jouer sa musique en rappel d’un concert, ou bien jouer tout l’album, comme pour Virgin Suicide. Nous n’avons pas encore trop pensé à la scène…
*The Dark Side of the Moon : album des Pink Floyd datant de 1973
Air Le Voyage dans la Lune (EMI) 2012