Rokia Traoré en trois actes à Londres
A l’approche des Jeux olympiques qui doivent se dérouler dans la capitale britannique, la chanteuse malienne Rokia Traoré investit la scène du Barbican Centre pour trois soirs, avec des créations faites sur mesure. Entretien avec RFI Musique.
RFI Musique : Comment vous est venue l’idée de ce triptyque ?
Rokia Traoré : A l’ occasion du festival fait autour des Jeux olympiques, le directeur artistique du Barbican Centre à Londres m’a demandé pourquoi je ne ferais pas trois spectacles différents en lieu et place d'un même show qu’on présente trois soirs de suite. Au début, ça m’a fait un peu peur, je ne m’en sentais pas capable mais j’ai réalisé que j’avais toute l’infrastructure pour entreprendre un tel projet ambitieux en termes de travail. Un des spectacles se fait avec les jeunes de la fondation que j’ai créée au Mali. Un autre, plus intimiste – nous ne sommes que trois sur scène – se base sur la manière de conter des griots, et le troisième est celui de mon prochain album.
Chacune de ces soirées à un titre, respectivement Dream, Sing, Dance. Cela correspond-il à différentes facettes de votre démarche artistique ?
En bambara, ces trois concepts commencent par un D : "Damou", "Donguili", "Donke". Ce sont aussi les différents aspects de ma personnalité, finalement. Depuis deux ans, j’apprends la tradition des griots. Jusque-là, c’était des choses que j’écoutais comme n’importe quel Malien, mais professionnellement, je ne connaissais pas la technique, les textes. Ce sont des classiques, des mélodies anciennes, des compositions anciennes remaniées, jouées à différentes sauces. Ça m’a pris du temps de trouver un griot qui voulait bien apprendre cette tradition à une noble. Finalement, je suis tombée sur Bako Dagnon qui est définitivement quelqu’un de très différent. Ali Farka Touré, de son vivant, m’avait conseillé de l’approcher quand je lui avais dit que j’avais envie de savoir ces choses-là. Il avait raison. Comme lui, elle a cette même attitude de grandeur, sans mesquinerie. Avec eux, il y a une réelle transmission, contrairement à la plupart des musiciens qui sont dans une forme de jalousie mesquine inutile.
A la fin de mes études, c’est ce que j’avais envie de faire, pour écrire des bouquins, quand je pensais que je ne serais jamais capable de devenir musicienne professionnelle. Après, quand j’en ai eu l’opportunité, c’était plus facile pour moi, paradoxalement, d’apprendre la technique de chant occidentale. Par l’éducation que j’ai eue, mon histoire et celle de mes parents, j’étais plus proche d’une culture occidentale à la base que d’une culture traditionnelle malienne.
Tout à fait. Il devait impliquer tous les jeunes de la Fondation avec lesquels je travaille. Sur Roots, ils se relaient durant la tournée, pour des questions de budget. Certains avec qui on a joué au printemps avaient déjà leur visa, mais avant qu’on ait pu se présenter au rendez-vous pour les autres, les événements politiques qui secouent le Mali depuis quelques temps ont entraîné la fermeture des consulats. C’est frustrant pour tous ces jeunes. On a dû abandonner le projet initial et revenir en vitesse à Roots, qu’on a quand même transformé.
Ce sont mes classiques à moi. Du Marley, du Brel, du Leo Ferré… On y va étape par étape parce qu’il y a certaines chansons que je connais et pas eux. Il faut déjà leur faire découvrir, leur donner envie ! J’ai choisi presque la moitié des titres mais ils en ont aussi apporté.
Comment avez-vous travaillé le troisième spectacle qui sera un avant-gout de votre prochain album ?
C’est un groupe tout neuf. Seul un élément est resté : le joueur de ngoni avec lequel je travaille depuis douze ans. Les choristes sont deux des jeunes avec qui je travaille dans la Fondation. Le batteur, le guitariste et le bassiste sont de différents pays européens. On a commencé les répétitions il ya deux semaines, et on va présenter les morceaux avant d’entrer en studio. Ça permet de développer l’instinct et l’intuition par rapport à des chansons et faire en sorte que l’enregistrement ne soit pas une succession de calculs, d’editing. Avec Jon Parish (guitariste britannique qui s’est illustré aux côtés de PJ Harvey, NDR), qui jouera avec nous à Londres, on a prévu de faire des prises live. Je voulais travailler avec un musicien qui a une culture professionnelle du rock plus poussée que la mienne. C’est agréable d’apprendre de quelqu’un qui a plus d’expérience, plutôt que d’essayer de faire tout moi-même !