Nilda Fernandez, l'homme libre
Il va toujours là où le cœur le mène, Nilda Fernandez. Pour son nouvel opus Basta Ya !, le troubadour - une nouvelle fois inspiré - emprunte des chemins détournés en postant les chansons à intervalle irrégulier sur son site Internet. RFI Musique l'a rencontré, quelques jours avant son concert au New Morning à Paris.
RFI Musique : Pourquoi cette démarche de sortir du circuit traditionnel des maisons de disques ?
Nilda Fernandez : Ce sont elles qui sortent du circuit, pas moi. Petit à petit, elles se disqualifient toutes seules. Elles ont eu leur utilité, elles ont été visionnaires mais c'est parti en vrille. Elles passent leur temps à dire que les albums ne se vendent pas. Si on voulait être ingénu, on dirait qu'il y a une forme de suicide. Si on ne l'est pas, on sait qu'il y a une forme de réorganisation capitaliste derrière tout ça. Il ne faudrait pas être malin pour penser que l'avenir est de ce côté-là.
Quel a été le déclic ?
Quand je suis revenu de Russie, je me suis aperçu du désastre. J'ai eu la chance d'échapper à l'arrivée de la fabrication de stars comme avec la Star Academy. C'était le fantasme ultime de tous les labels : on se passe des artistes, on les crée. Puis il y a eu l'installation d'Internet et des plateformes musicales. Après quand j'ai fait l'album Ti Amo (en 2010, ndlr), je me suis rendu compte de ce qu'était devenue la vente des disques. C'est un jeu de dé !
Est-ce un passage obligé pour tendre vers une forme de liberté ?
De toute façon, même quand on considérait que je n'étais pas producteur, j'ai passé mon temps à avoir des rapports d'égalité avec les maisons de disques dans lesquelles j'étais. Bien sûr, on ne me la reconnaissait pas cette égalité et cela a créé quelques malentendus. Quand je signais un contrat pour un album, mon principal souci c'était de savoir comment en sortir. Au moins là, le problème ne se pose plus.
Selon vous, l'artiste n'est-il pas respecté ?
Il est considéré comme un sous-traitant. Par devant, il a tous les salamalecs dont il peut prétendument avoir besoin. Mais ce n'est pas un respect. J'ai participé à des commissions d'attribution d'aides et, parfois, j'étais obligé de dire aux producteurs que j'étais là.
Vos nouvelles chansons sont délivrées au compte-goutte sur votre site au tarif de 6 euros. Une autre forme d'écoute ?
J'ai toujours fait des disques pour qu'ils soient des compagnons. A un certain niveau de ventes, il y a un malentendu. Plein de gens achètent un disque parce qu'il faut l'avoir mais ne l'écoute vraiment. C'est important d'être entendu attentivement. Donc j'ai réfléchi à une autre forme d'offre.
Pas d'album physique donc ?
C'est possible mais ce sera différent. Pourquoi pas sous forme de vinyle. Je n'irai pas mendier des places à la Fnac. Elle se passe de nous, on peut se passer d'elle.
Ces chansons sont nées sur scène en 2011 à l’Élysée Montmartre avec les musiciens de la dernière tournée d'Alain Bashung. Peut-on dire qu'elles connaissent aujourd'hui une seconde vie ?
La scène m'a servi à voir si j'avais envie d'enregistrer les chansons. Le directeur de la salle avait été très étonné que je vienne le voir. Comme je voulais un concert debout, on a réussi à tomber d'accord. C'est lui qui m'a présenté cette équipe de musiciens. Du coup, j'ai bénéficié d'un casting que je n'avais pas fait.
Pourquoi ce désir d'un son davantage pop-rock ?
J'avais déjà eu cette idée mais je n'ai pas de caractère de groupe. Et, à part dans le jazz, c'est toujours difficile de trouver des musiciens qui soient un groupe sans chanteur. Là j'ai eu le privilège d'avoir une belle cohésion et des musiciens qui aient de tels réflexes entre eux.
Comment expliquez-vous que les chansons ne sortent que maintenant ?
L'enregistrement m'a pris un an. Avec les musiciens, cela a été assez rapide. Après, j'ai beaucoup travaillé sur les voix. Je n'avais jamais fait ça de manière aussi poussée.
Dans le titre Pour la gloire, vous dites : "J'ai toujours préféré la fuite aux lingots et pépites". Autobiographique ?
Quand j'ai commencé à avoir du succès, on me disait : "il faut prendre". C'était une phrase récurrente. Je pense que cela arrive à tous ceux qui accèdent à une forme de notoriété. J'ai préféré prendre une autre route parce que je ne me voyais pas artiste millionnaire. Parce qu'après, ton principal souci c'est juste la défiscalisation et de faire des albums pour vérifier qu'on t'aime encore. Ce n'est pas pour moi l'aboutissement d'une vie d'artiste.
Avez-vous couru après un morceau qui ait le même écho collectif que Nos fiançailles ?
Au moment du choix de la chanson single, ma maison de disques de l'époque n'était pas convaincue par Nos fiançailles. Elle avait tous les défauts : une intro de 40 secondes, pas de refrain, de l'espagnol en plein milieu et un poème à la fin. Par la suite, je n'ai jamais fonctionné en termes de Nos fiançailles bis ou de construction semblable. Cela m'a juste conforté dans l'idée qu'il ne faut pas se prendre la tête et qu'une chanson doit rester instinctive.
Dans Pense à la France, vous écrivez : "Crache à la face de ceux qui posent des barbelés pour mieux nous enfermer". Qui visez-vous ?
Ceux qui font preuve de bêtise. Il n'y a pas plus stupide que le racisme, l'ostracisme ou la xénophobie. Cela ne tient pas deux secondes à un raisonnement rationnel. On lâche des choses dont on ne mesure pas la portée. Il faut avoir cette tranquillité d'esprit. Tout ce qui se passe par la peur est dangereux. Des peurs minimales transformées par l'humain, ça devient terrible.
Vous avez été candidat suppléant de Raquel Garrido (Front de Gauche) aux élections législatives dans la deuxième circonscription des Français à l'étranger. Une envie de poursuivre l'expérience politique ?
Non. C'était juste lié à l'Amérique latine et parce que Raquel est chilienne. Je l'avais rencontrée au cours d'un meeting de Mélenchon sur la culture au Bataclan. Ce qui est public en politique devient de l'entertainment, même les belles idées. Et là, ça me pose un problème.
Nilda Fernandez, Basta Ya ! 2014
Site officiel de Nilda Fernandez
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En concert le 11 février au New Morning à Paris