Il y a 40 ans, boxe et musique à Kinshasa

Il y a 40 ans, boxe et musique à Kinshasa
Mohammed Ali et Georges Foreman, 1974 © AFP

Le 30 octobre 1974, dans le stade du 20 mai à Kinshasa et devant des millions de téléspectateurs à travers la planète, Mohamed Ali reprenait son titre de champion du monde des poids lourds face à George Foreman. En parallèle de ce qui était bien plus qu'un simple match de boxe (Rumble in the jungle) un festival réunissant des artistes américains et africains braquait un peu plus les projecteurs sur le Zaïre.

Le DC-8 charter vient de se poser à l'aéroport de Kinshasa, enveloppé dans l'obscurité profonde d'une nuit tropicale. Sur le tarmac envahi par une foule enthousiaste et inhabituelle, vu l'heure tardive, un comité d'accueil de circonstance est réuni. La fête commencera au bas de la passerelle pour les passagers de cet appareil affrété spécialement, en ce mois de septembre 1974.

À son bord, de nombreuses stars de la musique venues d'outre-Atlantique pour trois jours de live : James Brown, BB King, le Fania All Stars et Celia Cruz, Sister Sledge... Durant le vol, elles viennent d'apprendre que le calendrier des festivités a été chamboulé : la confrontation sur le ring entre Mohamed Ali et George Foreman a été repoussée de cinq semaines, le champion en titre s'étant blessé, mais les dates de leurs concerts sont maintenues.
 
Une fois l'avion à l'arrêt, les illustres visiteurs aperçoivent depuis leur hublot, un peu inquiets, les danseurs traditionnels qui les saluent, sagaie à la main. Mais dès que la porte s'ouvre, ils se détendent rapidement au son de Trio Madjesi, le groupe qui fait alors sensation sur la scène zaïroise, chargé de jouer dans ce cadre peu conventionnel.
 
Tout de suite, l'ambiance qu'ils installent a raison de la fatigue et de la retenue éventuelle des voyageurs. "Les musiciens du Fania All Stars ont sorti leurs instruments et se sont mis à jouer avec nous", se souvient Loko Massengo, l'une des voix du trio – entendue également depuis avec Quatre Étoiles et Kékélé.
 
"Zaïre 74"

Les images du DVD Fania In Africa montrent le chanteur dominicain Johnny Pacheco, tout sourire, se laisser prendre par le rythme. Le saxophoniste sud-africain en exil Hugh Masekela est là, lui aussi, pour recevoir les arrivants. Avec le producteur américain Stewart Levine, il a eu l'idée de ce festival inédit qui va se tenir durant trois jours et porte le nom de "Zaïre 74".
 

Quand ils ont appris que le combat de boxe entre les poids lourds Mohamed Ali et George Foreman, événement médiatique planétaire, allait se dérouler à Kinshasa, ils ont proposé à Don King, son promoteur, de lui adjoindre un volet culturel. Cela s'inscrivait parfaitement dans la démarche : le fait que le match ait été acheté par le président zaïrois Mobutu Sese Seko (pour 10 millions de dollars) servait la cause afro-américaine, défendue vigoureusement par Mohamed Ali.
 
Si le célèbre boxeur remontait sur le ring, après avoir dû rendre sa ceinture en raison de son refus d'aller se battre au Vietnam, c’était pour "libérer les Noirs d'Amérique", explique-t-il dans le DVD Soul Power filmé à l'époque sur place. La ségrégation raciale dans son pays est encore un souvenir récent. Elle a laissé des traces dans les discours. "Blancs et Noirs ne sont pas frères. Un frère ne lynche pas, n'émascule pas, n'écartèle pas et ne brûle pas son frère", le voit-on affirmer aux caméras qui le suivent dans son séjour kinois.
 
Opération de communication

Accompagner cette rencontre sportive par un retour aux sources des "chanteurs afro-américains les plus dynamiques", comme le formule Don King, permettait de renforcer cette dimension idéologique, qui plus est partagée, encouragée par le régime zaïrois. "Le pouvoir noir se cherche partout, mais il s'exerce effectivement au Zaïre", pouvait-on lire alors – en français et en anglais – sur de grands panneaux disposés sur les bas-côtés des rues de Kinshasa.
 

Tous les moyens furent déployés sans réserve pour cette opération de communication."Mobutu voulait que le Zaïre ait belle allure quand la presse internationale mettrait ses caméras en marche. Je voulais sortir, me mélanger aux gens et ressentir le continent de mes ancêtres. Mais vous ne pouviez aller nulle part tout seul. Les hommes de Mobutu vous escortaient sur les lieux que vous vouliez voir, qui étaient souvent nouveaux, des bâtiments modernes", raconte la chanteuse américaine Etta James dans ses mémoires intitulées Rage To Survive.
 
Le pouvoir local attendait aussi des retombées locales."Foreman et Ali font confiance à Mobutu. Vous aussi, faites comme eux, ayez confiance en Mobutu", invitaient de grandes affiches sur lesquelles les têtes des deux sportifs étaient surmontées de celle du chef d'État.
 
Pour cela, les artistes africains eurent aussi leur part de festival, dans le grand stade de la capitale équipé avec du matériel transporté pour l'occasion. "Les Américains ont tout apporté : la sono, le backline, les lumières. C'était la première fois au Congo qu'on avait une installation de haut niveau. Ça nous a boosté à mort !" confirme Loko Massengo, programmé sur la grande scène avec le Trio Madjesi, comme ses compatriotes Tabu Ley Rochereau, Franco et son OK Jazz ou encore Papa Wemba lorsqu'il officiait au sein de Zaiko Langa Langa.
 
Venue de Guinée, où elle avait trouvé refuge lorsque son discours militant n'avait plus été le bienvenu aux États-Unis, la Sud-Africaine Miriam Makeba profite de sa prestation pour se moquer " des colonisateurs", incapables de reproduire le son caractéristique que fait sa langue et qui ont donc rebaptisé Click Song sa chanson Qongqothwane.
 
Pour clôturer ces trois jours de musique, le maître James Brown, déjà venu au Zaïre par le passé, fait une démonstration avec son groupe pléthorique parfaitement affuté, rodé. "Say it loud, I'm black and I'm proud" ("dites le fort, je suis noir et j'en suis fier"), fait-il chanter les milliers de spectateurs. Un refrain de circonstances.
DVD Soul Power (Paradis Distribution) 2009
DVD Celia Cruz and the Fania In Africa Live in Zaïre 74 (Gravity Records) 2010

 A écouter : l'Epopée des musiques noires (01/11/2014)