Avec Cristal Automatique #1, premier album à être produit sur son propre label Bisonbison, Babx chante ses mots fétiches, ceux de poètes "punks" : Rimbaud, Baudelaire, Kerouac, Miron, Waits… Dans ce disque sublime, il délivre au creux des vers leur musicalité intrinsèque, libère leur sortilège et leurs envoûtements, chante leurs phrases charnelles… Il est question ici de magie et de magnétisme. Rencontre.
"Je viens de la poésie, dit le chanteur Babx. Je viens des mots, de ces textes précieux, qui t’'apprennent à parler', viennent te chercher là où tu ne te connais pas encore, qui te révèlent à toi-même : ma genèse". En poésie, Babx grandit, précise ses contours. Par étapes, l’apprentissage fondateur revêt maints visages.
Il y eut d’abord, adolescent, ce professeur d’histoire du lycée, qui privatisait le bar d’en face pour déclamer des poèmes : "Un mec tout déglingué, un gros punk, se souvient-il. La gueule déformée par un accident de voiture, mais le cerveau intact, il connaissait par cœur Mallarmé, Rimbaud, Baudelaire… Epris d’une passion folle pour les œuvres d’écorchés vifs, il te les confiait comme s’il s’agissait des biens les plus précieux au monde".
Une vie en poésie
Plus tard, Babx, avec son amie la chanteuse L, reconstruisent le monde autour de tables rondes, célèbrent Celan ou Aragon, rêvent d’insurrection par la poésie. Gamin, il frissonne sur Rimbaud, Baudelaire… Découvre Genet, Artaud – un choc ! Succombe, plus récemment aux charmes fous du Québécois Gaston Miron, et sa fascinante Marche à l’amour… "La légende dit qu’un poème te choisit au moment opportun", dit-il. Le destin pave la route de Babx de vers sans hasard. Ainsi, lorsqu’Olivier Chaudenson, directeur de la Maison de la Poésie et des Correspondances de Manosque, lui demande pour l’événement une mise en musique, en "chansons", de ses œuvres fétiches, le chanteur convie ses idoles, poètes punk, à la ronde chamanique, desquels s’invitent Tom Waits et Jack Kerouac.
A chacun d’eux, il donne une expression, un visage, une couleur, une poignée de signes en musique : "la langue de Kerouac, cymbale nerveuse ; Arthur Rimbaud, organiste vaudou saturé ; Gaston Miron, bison élégiaque, etc. (…) S’ils dialoguent en permanence à travers les siècles et les influences, chacun d’eux possède, pour moi, une forme totémique, une fonction naturelle, comme les Dieux de la pluie, de la chasse, etc." précise-t-il.
L’odeur après la pluie
Au fil de concerts sporadiques, germe bientôt l’idée d’un disque, impulsée par un public fervent. Ce sera Cristal Automatique #1 (un second opus suivra), au titre emprunté de Césaire. Le "cristal" pour la transparence, les jeux de lumières, la force fragile ; l’"automaticité" pour cette musique qui ne résiste pas, et découle naturellement des mots… Un instantané.
Dans les creux du verbe, Babx s’immisce, (al)chimiste, qui "révèle la musique du texte, comme on révèle un négatif en photo" : un portrait d’œuvres écrites, traduites en notes, en harmonies, en rythmes. Ainsi explique-t-il son processus de digestion/composition : "Je ne sais que partir des mots, pour aller vers la musique, jamais l’inverse. Après lectures, il me reste ce substrat, la lie, le tannin. La trace, l’odeur dans l’air que laisse la pluie après l’orage… Plus qu’une histoire de sens, il s’agit de sons, de sensations... Le texte, même en langue étrangère, devient instrument. On joue de lui, comme on jouerait du piano. Certains, comportent déjà des indications musicales, des références, une pulsation. D’autres, en revanche, se suffisent à eux-mêmes, se satisfont du silence…"
Dans le prélude de ce disque,
Léo Ferré le confirme : "
Il ne faut pas déposer de la musique le long de n’importe quel vers, comme ça, histoire de faire des chansons." Jamais de superflu, donc, dans cette aventure, plutôt une urgence à sortir la poésie des pages, à la sublimer, en toute élégance. Dans cette
Conversation initiale, dialoguent – murmures polyphoniques d’une multitude de fantômes – Gilles Deleuze ("
Quand on écrit, on ne mène pas une petite affaire privée"), Prévert ("
Moi la Poésie, je ne sais pas ce que c’est"), Kerouac, Waits, etc. Par intermittence, la réminiscence d’Artaud scande : "
Magie Noire !" Car c’est bien de cela dont il s’agit :
"Pour moi, la poésie relève du vaudou, on égorge des poulets à chaque mot, sourit Babx.
Artaud parle des "signes". Le poète écrit pour les tribus oubliées ; il laisse des traces de sa présence, comme les hommes préhistoriques dans la Grotte Chauvet…"
Bisonbison, un label plein de sens
Pour ce disque, Babx a fondé son label, Bisonbison, un nom tiré de ce vers de Miron : "Moi je fonce à vive allure et entêté d’avenir la tête en bas comme un bison dans son destin." Prise de risque, quête de liberté… Il éclaire : "Lorsque je me suis séparé de ma maison de disque, j’ai eu besoin de retrouver un sens profond à exercer mon métier. Aujourd’hui, la manière dont la musique se monnaye, soumise au marketing, m’enlevait de l’envie, à l’endroit pile où je me sentais inattaquable…"
Pour Cristal Automatique, disque d’utilité sociale, Babx consacre aussi le disque-objet, avec 350 exemplaires luxueux, sertis des illustrations de Laurent Allaire, précieusement reliés par Laurel Parker. "Une idée du geste, un travail de la main", affirme-t-il.
Avec cet album somptueux, admirablement forgé, magique et magnétique, où les mots sonnent, beaux comme des astres, Babx modèle les vers de sa voix habitée, dessine son territoire poétique, son histoire et sa géographie intime. Un acte précieux, un signe tracé sur la route…
Babx, Cristal Automatique #1 (Bisonbison) 2015
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